Publié le 30 mars 2018
Réaction de Thierry Germond (délégué du CICR 1968 – 2007) à l'article du 20 mars «Peter Maurer, patron du CICR, est un rebelle» de Jacques Pilet.

Le prédécesseur de l’actuel président du CICR, M. Jakob Kellenberger, se plaisait à souligner l’importance qu’il attachait au «poids des mots», concept essentiel lorsque l’on s’aventure dans la négociation internationale, notamment humanitaire. J’imagine que M. Peter Maurer n’aura pas manqué de vous faire connaître son malaise en lisant que vous le qualifiez abusivement de «rebelle».

En quoi l’actuel président du CICR est-il rebelle? Au service du CICR de 1968 (Nigeria/Biafra) à 2007 (Corée du Nord), j’ai toujours connu un CICR dont les cadres, notamment les présidents, se sont rendus au cœur des tragédies. Non pas pour réaliser une opération de communication, ainsi que le contenu et les résultats que l’on pourrait imputer à cette récente mission du président du CICR dans la Ghouta orientale (Syrie) permettent de le croire, mais parce qu’ils considéraient que leur place était aux côtés de leurs collaborateurs et des victimes de la guerre.

Comment pouvez-vous attribuer au président du CICR le statut de «rebelle» alors qu’en sa qualité de membre du Conseil du World Economic Forum, l’une de ses responsabilités est de promouvoir les intérêts des membres de cette organisation à l’avant-garde de la défense du néo-libéralisme et de la dérégulation?

Comment le président du CICR peut-il appeler «tous ceux qui vendent des armes susceptibles d’être utilisées en violation du droit international humanitaire à stopper ces ventes» alors que le World Economic Forum dont il est l’un des co-dirigeants considère comme «partenaires stratégiques» les fleurons de l’industrie de l’armement de la planète, parmi lesquels des fabricants de bombes à fragmentation interdites par la Convention de Dublin de 2008, ratifiée par le parlement suisse? Bombes à fragmentation qui, selon Human Rights Watch (Rapport de HRW du 5 mai 2015), ont notamment été utilisées par la coalition arabe pour bombarder la population civile du Yémen.

Comment le CICR peut-il appeler à stopper les ventes d’armes alors que l’un des membres actuels de sa gouvernance faisait partie jusqu’en 2012 de la direction générale de la plus grande banque européenne, laquelle investissait dans le développement et la fabrication de ces mêmes bombes à fragmentation, quatre ans après la signature de la Convention de Dublin.

Considérer Peter Maurer comme «un rebelle parce qu’il se dresse contre le cynisme, contre l’hypocrisie des pourvoyeurs d’armes» n’est pas seulement scandaleux, c’est une insulte aux victimes de la guerre que le CICR est supposé protéger et assister. C’est une insulte aux milliers de collaborateurs du CICR qui, au mépris de leurs vies, s’efforcent de mettre en œuvre le mandat que la communauté internationale a confié au CICR.

Thierry Germond, délégué du CICR 1968 – 2007


«Peter Maurer, patron du CICR, est un rebelle» de Jacques Pilet.

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