L’aventure au bout du cornet glacé

Publié le 22 mai 2020

Le monde de la publicité pour les glaces est un monde fascinant. – © Piqsels

La plume qui caresse ou qui pique sans tabou, c’est celle d’Isabelle Falconnier, qui s’intéresse à tout ce qui vous intéresse. La vie, l’amour, la mort, les people, le menu de ce soir.

Chouette, avec le soleil s’annonce le joli temps des glaces, et des publicités pour les glaces. Nouvelles arrivées sur le marché, les glaces Nuii s’étalent en grand sur les murs de nos villes. Pas de chance pour elles, après #MeToo, Weinstein et le néo-féminisme, il est désormais très suspect, voire impossible, de montrer une jolie fille en train de lécher, lèvres humides, yeux fermés et tête renversée, un cornet glacé.

Avec quoi alors nous donner envie de nous lécher malgré tout les babines en même temps qu’un cône à la fraise? Déclinant en grand format et films grandioses qui les cascades tropicales de Java, qui les vastes forêts du Canada, qui le désert sauvage d’Autralie – avec koala -, Nuii (label de Froneri, entreprise partenaire de Nestlé) nous promet… l’Aventure. Pour qu’on capte bien le message, le slogan met les points sur les i: «Choose your next adventure», «Choisis ta prochaine aventure».

Le monde de la publicité pour les glaces est un monde fascinant.

C’est que ça ne sert à rien, une glace. Rien de plus inutile même, surtout au temps des régimes incessants et des diktats de la nourriture saine. Ça ne sert pas, comme un produit lessive, à laver le linge. Ça ne sert pas, comme une voiture, à vous mener à la mer avec enfants et chien. Ça ne sert pas, comme la lingerie, à affrioler monsieur pour favoriser les galipettes. Ça ne sert pas, comme des chaussures de sport, à faire du sport. Ça ne sert pas, comme une tondeuse à gazon, à tondre la pelouse.

Vendre de la lessive, une voiture, des baskets ou une tondeuse, c’est simple. Il suffit de montrer le résultat espéré.

La glace est quant à elle un pur objet de désir. Injustifié, injustifiable. Or d’habitude, qui incarne le pur et obscur objet du désir? Une Femme, tête renversée et yeux fermés, en train de lécher… un cône glacé.

Qu’est-ce qui est aux yeux du monde de la publicité aussi inaccessible, fantasmagorique que cette Femme désormais inutilisable, inmontrable? Qu’est-ce qui représente pour les fabricants de cornets glacés l’antithèse de nos vies sages, sédentaires et trop bien réglées? L’Aventure.

C’est ainsi qu’en 2020, l’Aventure, c’est manger une glace. Plus besoin de participer au Camel Trophy, au Paris Dakar ou à la Patrouille des glaciers: un petit tour à la Coop et la Royal Geographical Society vous décerna sa médaille d’honneur. S’ils avaient su, Christophe Colomb, Mike Horn et Neil Armstrong se seraient contentés d’ouvrir leur frigo et de se poser sur leur canapé en vivant cette palpitante aventure sans se geler les orteils. Une société a les fantasmes qu’elle mérite? Nous méritons mieux.

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