Comment l’industrie bloque la baisse des prix des traitements anticancer

A l’avenir, Keytruda sera administré par injection sous-cutanée (image symbolique) au lieu d’une perfusion. © ginasanders / Depositphotos
Article publié sur Infosperber le 24 novembre 2025, traduit et adapté par Bon pour la tête
Keytruda est devenu, en l’espace d’une décennie, le médicament le plus vendu au monde. Autorisé pour 18 types de cancers, il a déjà été administré à 2,9 millions de patients depuis son feu vert initial, il y a onze ans. En Suisse, son coût – environ 8590 francs toutes les trois semaines – en fait également l’un des traitements les plus onéreux. Selon le rapport Helsana, les assureurs ont déboursé 169 millions de francs en 2023 pour ce seul produit, un record.
Depuis 2014, Keytruda a généré 146 milliards de dollars, soit près de la moitié du chiffre d’affaires du géant pharmaceutique Merck. Mais une échéance cruciale approche: le brevet tombera en 2027. Et avec lui, la menace d’une chute vertigineuse des revenus, alors que des versions génériques nettement moins chères s’apprêtent à entrer sur le marché.
Une nouvelle forme d’administration pour prolonger l’exclusivité
Pour contenir cette baisse annoncée, Merck adopte une stratégie déjà bien connue dans l’industrie. Comme le révèle le New York Times, le laboratoire a développé une nouvelle version du médicament, administrée non plus par perfusion, mais par injection sous-cutanée. La FDA américaine a déjà donné son feu vert, ouvrant la voie à une commercialisation encore cette année.
Merck vise un objectif clair: faire basculer 40 % des patients vers cette nouvelle forme avant l’arrivée des génériques. L’entreprise la présente comme une « avancée significative », bien qu’elle soit vendue exactement au même prix que la perfusion actuelle.
Des milliards en jeu pour le système de santé
Pour les experts cités par le NYT, cette manœuvre pourrait coûter des milliards supplémentaires aux contribuables américains. Car si les génériques deviennent disponibles, ils concerneront uniquement la perfusion traditionnelle : une option médicalement équivalente, moins chère, mais logiquement moins attractive que l’injection rapide proposée par Merck.
La sénatrice Elizabeth Warren et l’ex-candidat à la présidentielle Bernie Sanders dénoncent une tactique d’«abus du système des brevets». Le phénomène porte un nom: le product hopping, une pratique qui consiste à transférer la demande vers une nouvelle version du même médicament, sans bénéfice tangible en matière d’efficacité ou de sécurité.
Selon Tahur Amin, directeur de l’organisation I-MAK, l’industrie a parfaitement compris comment «vendre du confort plutôt qu’une amélioration thérapeutique».
Une stratégie répandue dans les anticancéreux
Le product hopping n’est pas propre à Merck. D’autres blockbusters anticancéreux, comme Darzalex (Johnson & Johnson), Opdivo (Bristol-Myers Squibb) ou encore Herceptin (Roche), ont également été déclinés en versions injectables juste avant l’expiration de leur brevet. En 2023 en Suisse, Darzalex occupait la 4e place des médicaments les plus coûteux, Opdivo la 16e.
Aux Etats-Unis, le programme Medicare dépense déjà des milliards pour ces nouvelles formulations, vendues au même prix que les versions anciennes – alors que des perfusions génériques, nettement moins onéreuses, existent désormais. Les patients, qui doivent régler une franchise de 20 %, paient eux aussi le prix de cette stratégie.
Des injections plus simples… et un mur de brevets
Pour les hôpitaux, les injections ont pourtant un avantage réel: elles libèrent du temps et de l’espace. Deux minutes d’injection contre une demi-heure de perfusion, une heure passée en salle de traitement au lieu de deux : l’argument logistique est indéniable. Merck met aussi en avant l’économie de temps pour les patients, qui n’ont plus à se déplacer vers un centre spécialisé.
Mais derrière l’amélioration pratique se cache une autre réalité: selon I-MAK, Merck a déjà déposé près de 300 brevets liés à Keytruda, une manière de retarder l’arrivée des génériques bien au-delà de l’expiration officielle du brevet.
En misant sur le confort, Merck espère que les patients – et les médecins – ne voudront plus revenir à la perfusion traditionnelle. Et qu’ainsi, les génériques, même moins chers, peineront à s’imposer sur le marché.
Un timing qui interroge
Si les entreprises pharmaceutiques cherchaient réellement à simplifier la vie des patients, notent plusieurs experts, elles introduiraient ces nouvelles formes d’administration bien avant la fin de la protection des brevets. Le fait que ces innovations surgissent précisément au moment où la concurrence s’apprête à arriver n’est, pour eux, rien d’un hasard.
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