À quoi bon fréquenter les musées?

Publié le 12 février 2019

«Nu au bain», par Pierre Bonnard, 1936. – © DR

Que vient-on chercher dans une exposition, dans un musée, puisque «tout est sur internet» et le prix du billet d’entrée souvent prohibitif? On paie, de plus en plus souvent, une part de prestige social à étaler dans un dîner, à un rendez-vous amoureux; on fait la queue pendant des heures pour pouvoir instagrammer aussitôt, se montrer, se faire savoir, faire savoir que l’on sait où sont les choses qui en valent la peine. Cette généralisation abusive trouve des racines dans le vécu le plus proche. Je ne me suis pas rendue à l’exposition Basquiat-Schiele à la Fondation Louis Vuitton – parce que je connaissais les Schiele, vus à Vienne – en revanche, mes fils d’actualité sur les réseaux sociaux étaient saturés des mois durant de ces images.

À Londres, je me suis laissée prendre au jeu: l’idée est moins banale lorsqu’il s’agit d’un événement à l’étranger, plus excitante aussi pour mon Facebook et pour moi. Je voulais voir de mes yeux ce que les British feraient du French artist Pierre Bonnard.

Au tourisme de masse décrié ici et là par les Vénitiens et les habitants du quartier de Montmartre répond une certaine idée de la culture: pour tous, à la portée de tous, quasiment vendue en package avec le billet d’avion ou d’Eurostar. Il y avait foule à la Tate Modern ce samedi, malgré le vent glacial et la pluie qui faisaient tanguer le Millenium Bridge. Munie d’une entrée «presse», j’ai coupé la file tandis que d’autres visiteurs se faisaient littéralement refouler par une surveillante promue videur de boîte de nuit. Les treize salles d’exposition sont bondées. Il faut parfois faire la queue pour apercevoir les œuvres, dont la collection, empruntée au Musée d’Orsay, de tirages photographiques d’époque: des nus champêtres, charmants, mais minuscules.

Les Anglais ont vu les choses en grand: une centaine d’œuvres, dont beaucoup d’emprunts à des collections privées, un éclairage impeccable, un affichage net, en osmose avec les toiles. Il faut faire un effort, au milieu de cette foule cosmopolite et hétéroclite, pour se souvenir que Bonnard est un peintre de l’intime. Suffocant dans un manteau d’hiver trempé de pluie, je cède à cette terrible interrogation: faut-il vraiment se réjouir de cette affluence? Au nom de la sacro-sainte égalité des...

Ce contenu est réservé aux abonnés

En vous abonnant, vous soutenez un média indépendant, sans publicité ni sponsor, qui refuse les récits simplistes et les oppositions binaires.

Vous accédez à du contenu exclusif :

  • Articles hebdomadaires pour décrypter l’actualité autrement

  • Masterclass approfondies avec des intervenants de haut niveau

  • Conférences en ligne thématiques, en direct ou en replay

  • Séances de questions-réponses avec les invités de nos entretiens

  • Et bien plus encore… 

Déjà abonné ? Se connecter

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Culture

Respirer une fois sur deux avec Alain Huck

C’est une des plus belles expositions en Suisse cet été, à voir jusqu’au 9 septembre au Musée cantonal des Beaux-Arts (MCBA) de Lausanne. Alain Huck propose une promenade dimensionnelle à travers les mots et la pensée. Miroir d’un état du monde terrifiant, son œuvre est néanmoins traversée de tendresse, histoire (...)

Michèle Laird
Culture

L’art jubilatoire et jaculatoire d’Armand Avril

A 99 ans, l’artiste lyonnais expose ses nouvelles créations à la galerie RichterBuxtorf de Lausanne. Des chats et des chattes, et aussi des palmiers à la forme sans équivoque. Diverses techniques sont utilisées – peinture, collages, encre… – et les supports sont d’anciens sacs de farine ou des pages de (...)

Patrick Morier-Genoud
HistoireAccès libre

Le Titanic redonne vie à une part de notre histoire

A Lausanne, l’exposition «Titanic – De vrais objets, de vraies histoires» invite les visiteurs à embarquer sur le paquebot légendaire, depuis le 27 septembre 2024. On peut y découvrir 200 objets remontés du site de l’épave, accompagnés de reconstitutions d’espaces emblématiques comme le Grand Escalier ou les cabines. Sur les (...)

Lena Rey
CultureAccès libre

Vevey Images, images de Vevey

Au café «Le Bout-du-Monde», il ne reste plus qu’un croque-monsieur à la carte. Va pour le croque jambon-fromage-oignon, et une bière blonde. Une dame visiblement solitaire cherche à entamer la conversation. «Vous êtes architecte? Médecin?» Rien de tout cela, madame: retraité. «Oui, mais avant?» J’hésite à décliner mon état d’ex-journaliste, (...)

Jean-Claude Péclet
CultureAccès libre

Jean Frémon, vendeur d’art

«Probité de l’image», recueil de vingt-huit textes rédigés entre 1991 et 2022 pour des catalogues par le directeur de la galerie Lelong, sise rue de Téhéran à Paris, c’est-à-dire l’ancienne et fameuse galerie Maeght, nous livre un riche et précieux témoignage des rencontres infiniment variées de Jean Frémon (1946) avec (...)

Yves Tenret
Culture

L’enfance célébrée

Si la Fondation Gianadda nous a habitués depuis plus de quarante ans à des expositions magnifiques, celle-ci est exceptionnelle. «Anker et l’enfance» met en scène les œuvres majeures du peintre suisse à travers un hymne aux enfants. Bel hommage à Léonard Gianadda, décédé en fin d’année dernière, qui a préservé (...)

Loris Salvatore Musumeci
Culture

L’économie est trop importante pour la laisser aux économistes

Des voix se sont élevées pour dire que les manifestations dans les universités de ces dernières semaines étaient déplacées, car dans nos hautes-écoles on ne devrait pas prendre position. Or cette idée est à la fois utopique et stérile. D’une part, les recherches universitaires sont forcément le fruit d’un positionnement, (...)

Boas Erez
CultureAccès libre

Christian Marclay: «L’art a besoin d’un public pour exister»

De passage à Lausanne pour vernir une exposition à Photo Elysée sur le thème du photomaton, l’artiste Christian Marclay nous parle de sa pratique artistique dans le cadre de la célébration des 100 ans du surréalisme. Plus proche du dadaïsme de Marcel Duchamp que du surréalisme d’André Breton, il nous (...)

Michèle Laird
Culture

Dominique Goblet, un livre envoûtant et une exposition à Bâle

«Le Jardin des Candidats» de Dominique Goblet et Kai Pfeiffer est un livre grand format où se croisent bande dessinée et art contemporain, céramiques, sculptures, ready-mades, aquarelles et strips narratifs, dans une totale liberté de ton. Ouvrage d’une grande invention offrant des dessins de jardins, de trous dans ces jardins, (...)

Yves Tenret
CultureAccès libre

Nicolas de Staël, la lumière vorace

Le mythe a fait disparaître l’homme. Dans une exposition tout en finesse, la Fondation de l’Hermitage à Lausanne offre un regard nouveau sur Nicolas de Staël, l’artiste majeur du XXème siècle le moins bien compris. Traversées de lumière naturelle dans un cadre intimiste, ses œuvres renaissent et nous rapprochent d’un (...)

Michèle Laird
CultureAccès libre

L’art, une arme contre la destruction de l’Amazonie

Photo Elysée présente «Broken Spectre» jusqu’au 25 février, une œuvre d’art engagé grandiose de l’artiste irlandais Richard Mosse (1980). L’expérience immersive narre la destruction en «live» du poumon de la planète. Aux images d’une nature intense à l’état pur, l’artiste oppose le carnage environnemental encore autorisé du temps de Bolsonaro.

Michèle Laird
Culture

Mark Rothko, la peinture-miroir

La Fondation Louis Vuitton présente une rétrospective Rothko de plus de cent œuvres, réparties chronologiquement dans tous les espaces du lieu. L’occasion de revenir sur la vie et la carrière d’un artiste, au-delà des tableaux abstraits géométriques, bien connus mais parfois trop survolés. Rothko, par la couleur et la géométrie, (...)

Marie Céhère
CultureAccès libre

Marisa Cornejo, un art inclusif en faveur de la mémoire chilienne

Elle est une figure de la vie artistique romande. Exposée à New York en ce mois de septembre, elle vient de recevoir une invitation du ministère de la Culture de son pays natal, lequel veut faire entrer une de ses œuvres dans sa collection nationale. Son travail est visible jusqu’à (...)

Emmanuel Deonna
Culture

L’art et la poésie survivent sous la pure lumière de Grignan

Merveille d’une rencontre amicale posthume en un lieu que tous deux ont su magnifier en beauté et en douceur: Philippe Jaccottet et Italo De Grandi se retrouvent, avec une septantaine d’aquarelles magnifiques et des textes choisis reproduits sur les murs, à l’enseigne de l’exposition simplement intitulée «Grignan», à voir absolument (...)

Jean-Louis Kuffer
Culture

Lisez voir à l’Elysée

La dernière exposition du Musée de l’Elysée de Lausanne, un des deux seuls musées suisses consacrés à la photographie, donne le sentiment qu’on s’est trompé de porte. Au-delà même du contenu de l’exposition et du «message» de l’artiste espagnole Laia Abril, un fait s’impose: on doit lire, et non pas (...)

David Laufer
CultureAccès libre

«Hardcore» ou la subversion inclusive

A l’heure où l’idéologie woke, cette grande alliance mondiale des éveillés de tous poils, exige de chacun qu’il revendique ce qu’il est, ce qu’il aime ou ce qu’il croit, que peut bien nous réserver la visite de l’exposition «Hardcore» qui se tient dans le quartier de Soho, à Londres, depuis (...)

Olivia Resenterra