Publié le 16 mai 2020

Flexibilité, partage et ouverture doivent guider les projets d’urbanisme de demain, selon un groupe d’architectes. – Epidemic Babel, projet d’hôpital modulable et déplaçable conçu par D Lee, Gavin Shen, Weiyuan Xu et Xinhao Yuan. © eVolo

La pandémie de Covid-19 bouleverse tout, de nos habitudes alimentaires à notre appréhension de l’espace public. Dans l’hebdomadaire italien Internazionale, les architectes Justin Paul Ware, Jorge Lobos et Eleonora Carrano, tracent les grandes lignes de ce que devrait être leur métier dans le monde d’après. Perspectives.

On sait depuis Hippocrate que les épidémies sont liées à l’organisation de l’espace public, et vice-versa. Aujourd’hui, et depuis la deuxième moitié du XXème siècle, la norme est à l’hygiénisme, avec des bâtiments vastes, conçus pour être facilement nettoyés. Mais ce n’est visiblement pas suffisant. 

Par nécessité sanitaire ou par changement anthropologique – ou les deux, nous le saurons d’ici quelques décennies – la crise que nous traversons actuellement risque, affirment les trois auteurs, de renverser la tendance à l’urbanisation. La concentration ne serait alors plus un modèle viable ni même acceptable. Et comme les liens sociaux et l’existence humaine s’éloignent peu à peu du monde physique pour faire place aux interactions numériques, rien n’indique que la tendance amorcée se renverse.


Lire aussi: «La ville trouve sa force dans son histoire», interview de Mario Botta


Flexibilité, partage, ouverture, devront être les maîtres mots de la ville de demain.

Constate-t-on que les régimes autoritaires rencontrent plus de succès dans la gestion de la crise? Que les dispositifs de surveillance, de contrôle et de répression modèlent les paysages urbains? Le rôle des architectes devra alors être de concevoir des espaces et des villes qui protègent la liberté et les valeurs démocratiques. 

La protection de la population doit suivre un double standard: la sécurité sanitaire, avec des modalités de distanciation physique quand cela est nécessaire, et d’isolement des personnes précaires et vulnérables; et la sécurité psychologique, dont il est un peu question depuis le confinement, avec par exemple l’accès de tous à des espaces verts, des balcons ou des terrasses. 

Les architectes proposent d’introduire et de développer le concept de «ville élastique». Concrètement: la division de l’espace urbain en blocs fonctionnels pouvant, le cas échéant, être tenus à l’écart des réseaux de communication mondiaux. Un espace qui peut être contracté ou étendu, suivant les besoins et les circonstances, permettant l’isolement des populations ou au contraire leur cohabitation.

Plus loin encore dans le partage, la notion d’«urbanité distribuée». «Certaines zones urbaines peuvent être accessibles à un petit nombre de personnes à différents moments de la journée, de la semaine ou du mois. Cette approche pourrait réduire certains des problèmes quotidiens créés par la densité urbaine, tels que la circulation, la congestion des transports publics et la désertification des zones commerciales la nuit ou le week-end.»

La distribution des espaces vides en fonction des besoins permettrait en ce moment, par exemple, de transformer les bateaux de croisière en hôpitaux, en centres d’hébergements, les restaurants en cantines pour les soignants ou les personnes vulnérables. 

On «distribuerait» également les espaces verts publics, comme les parcs et jardins, en introduisant des accès en fonction des heures, jours ou semaines, ce qui résoudrait, entre parenthèses, le problème des parcs parisiens que le gouvernement français, contre l’insistance d’Anne Hidalgo, refuse de rouvrir. 

Pour pallier la détresse psychologique, enfin, qui résulte ces jours-ci du confinement, mais qui peut aussi être provoquée par les épisodes de canicule en ville ou par l’isolement, seraient aussi mis en partage les espaces verts des résidences privées, en rendant publics, suivant certaines règles et modalités, les terrasses, les toits verts, les balcons et les cours. 

Toutes ces propositions supposent une auto-gestion par les habitants, un sens civique et des responsabilités, le contraire de l’infantilisation que déplorent certains parce que le sol du métro est désormais jonché d’autocollants appelant à respecter les distances entre voyageurs. Un véritable changement de paradigme. C’est l’idée des architectes auteurs de cette tribune: saisir l’occasion pour tenter un renversement des perspectives, trouver un «meilleur équilibre entre nature et société», «proposer un nouveau système basé sur la science, la philosophie et les Droits de l’Homme.»


Le texte original en italien est à lire ici.

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