Trump, le «président crypto», récolte de gros bénéfices

Publié le 24 octobre 2025

Les lobbyistes des cryptomonnaies ont transformé Donald Trump, autrefois «Saul Bitcoin», en «Paul Bitcoin». On comprend désormais parfaitement pourquoi. © T. Schneider/Depositphoto

Endetté il y a un an à peine, Donald Trump est redevenu milliardaire grâce à un empire de cryptomonnaies étroitement lié à sa présidence. Selon une enquête du «Financial Times», ses entreprises ont engrangé plus d’un milliard de dollars de bénéfices. Les frontières entre pouvoir politique et intérêts privés n’ont jamais semblé aussi floues.

Un article publié sur Infosperber le 21.10.2025, traduit et adapté par Bon pour la tête

Il y a peu, Donald Trump risquait la faillite. Ses dettes immobilières menaçaient son empire familial, et la justice américaine évoquait la vente forcée de plusieurs biens. Un an plus tard, le président réélu des Etats-Unis affiche une fortune en plein essor. Le miracle s’explique par un virage spectaculaire: la conversion du milliardaire républicain à l’univers des cryptomonnaies.

Une enquête du Financial Times révèle que les sociétés liées à Trump ont réalisé plus d’un milliard de dollars de profits grâce à des produits numériques portant son nom — des cartes à collectionner, des «memecoins», des stablecoins ou encore des plateformes financières. Ce réseau mondial, financé par des investisseurs privés de tous horizons, a fait de lui le premier président américain à tirer une fortune directe de l’économie crypto.

Du sceptique au champion des cryptos

Il fut pourtant l’un de leurs plus virulents détracteurs. Donald Trump qualifiait jadis le bitcoin de «fraude» et de «non-américain». Mais lors de la campagne présidentielle de 2024, il a opéré un revirement total. Accusant l’administration Biden de mener une «guerre contre la crypto», il promit de créer une réserve nationale de bitcoins et d’assouplir les régulations financières.

A peine réinstallé à la Maison-Blanche, Trump a tenu parole: le patron de la SEC, Gary Gensler, a été remplacé par Paul Atkins, un fervent partisan des cryptomonnaies. Les enquêtes contre plusieurs grandes sociétés crypto ont été suspendues, et les restrictions réglementaires largement allégées. Les Américains peuvent désormais investir une partie de leur épargne-retraite dans des actifs numériques.

Résultat: le bitcoin a battu des records, les capitaux ont afflué vers les Etats-Unis et les entreprises Trump ont vu leur valeur s’envoler. La politique monétaire et les affaires privées du président se sont ainsi entremêlées à une vitesse inédite.

Un empire familial sur la blockchain

Au cœur de ce nouvel édifice figure World Liberty Financial, une société fondée par les fils de Trump et ceux de son proche allié Steve Witkoff. Elle a émis deux tokens: le WLFI, librement échangeable, et le USD1, adossé au dollar. Ensemble, ils auraient rapporté plus de trois milliards de dollars, dont 550 millions pour le seul WLFI. Trump affirme avoir perçu 57 millions de dollars à titre personnel.

La famille a également tiré profit de memecoins à son effigie — $TRUMP et $MELANIA — pour 427 millions de dollars, ainsi que de cartes numériques représentant le président en super-héros, vendues à des millions d’exemplaires. La Trump Media & Technology Group, autrefois déficitaire, s’est muée en holding crypto levant des milliards auprès d’investisseurs. Plus de la moitié des bénéfices revient directement au chef de l’État, qui détient la majorité du capital.

L’éthique sous pression

Cette porosité entre affaires privées et pouvoir public alarme les observateurs. Contrairement à ses prédécesseurs, Trump n’a pas placé ses entreprises dans une fiducie indépendante: il reste l’unique bénéficiaire d’un fonds géré par son fils. La Maison-Blanche assure que cette structure prévient tout abus, mais pour l’expert en éthique Richard Painter, ancien conseiller de George W. Bush, «aucun président moderne n’a monétisé son pouvoir de manière aussi directe».

Selon un sondage du Financial Times, plus de la moitié des électeurs de Trump croient pourtant qu’il a gagné moins de 100 millions de dollars depuis son retour au pouvoir, et 40 % ignorent tout de ses profits liés à la crypto.

Des milliards venus du monde entier

Les investissements étrangers se multiplient : le milliardaire chinois Justin Sun, autrefois poursuivi pour fraude, a injecté 75 millions de dollars dans World Liberty Financial — peu avant que la SEC ne suspende les poursuites à son encontre. Le fonds MGX d’Abou Dhabi a acheté deux milliards de dollars de stablecoins.

Les entrepreneurs crypto soutiennent aussi activement Trump sur le plan politique: au premier semestre 2025, plus de 41 millions de dollars ont été versés à ses comités de campagne. Le nouveau super-PAC Digital Freedom Fund finance désormais des candidats favorables aux actifs numériques. Les jumeaux Winklevoss, pionniers du bitcoin, ont offert des jetons d’une valeur de 21 millions de dollars.

Pouvoir, marché et morale

Les retombées touchent jusqu’au cœur du gouvernement. Le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, dirige une société qui gère d’immenses portefeuilles de bitcoins, tandis que le conseiller pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, détient des tokens d’une valeur de plus d’un demi-milliard de dollars.

Les fils Trump, Donald Jr. et Eric, sillonnent le monde pour promouvoir la «vision crypto» présidentielle. A Hongkong, Eric a prophétisé qu’un bitcoin pourrait un jour valoir un milliard de dollars.

Pour certains, ces déclarations relèvent de la fanfaronnade ; pour d’autres, elles traduisent la réalité d’un pouvoir désormais inséparable de ses intérêts financiers.

Donald Trump a fait ce qu’aucun président américain avant lui n’avait osé : transformer la fonction présidentielle en plateforme d’enrichissement familial. Entre stratégie politique et dérive morale, son aventure crypto marque une rupture historique. Jamais la Maison-Blanche n’avait été aussi proche du marché – et aussi éloignée de la neutralité éthique que requiert le pouvoir.

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