Mon bonsaï et moi au temps du Coronavirus

Publié le 27 mars 2020
La plume qui caresse ou qui pique sans tabou, c’est celle d’Isabelle Falconnier, qui s’intéresse à tout ce qui vous intéresse. La vie, l’amour, la mort, les people, le menu de ce soir.

Depuis trois ans, j’ai un bonsaï dans ma cuisine. Un ficus nain, plus précisément, arrivé avec les cartons de mon dernier déménagement. Au début, je l’aimais beaucoup. Je l’adorais même. Zen, calme, quiétude, impassibilité – tout ce dont j’avais besoin. Depuis trois ans, il ne bronche pas. Hiver, été, nuit, jour: toujours vert, jamais une branche qui ne dépasse, ascète avec pour seul besoin quelques gouttes d’eau par semaine. Depuis trois ans, je l’ai bichonné, humectant ses feuilles, m’assurant qu’il ne soit ni trop au soleil, ni trop à l’ombre. 

Aujourd’hui, mon bonsaï est toujours dans ma cuisine. Zen, impassible. Mais désormais, il m’agace prodigieusement.

D’autant plus que, reléguée à la maison en mode télétravail pour cause de pandémie de coronavirus, je le vois encore plus que d’habitude – non plus seulement en partant le matin et puis en revenant le soir, mais à chaque fois que je me fais un café ou que je prends un yaourt dans le frigo. Et plus je le vois, plus il m’énerve. Je n’en peux plus de son impassibilité. Je suis à deux doigts de lui balancer une gifle pour voir s’il réagit enfin. A côté, une plante à fleurs, qui pousse, fleurit, se fane, sèche et puis reprend du poil de la bête, fleurit à nouveau. Mon bonsaï, rien. L’hiver, l’été? Il ne connait pas. Les fleurs, les feuilles sèches? Il ne connait pas.

Résultat: je ne suis plus du tout gentille avec lui. Je l’arrose, bien sûr. Je ne suis pas une tortionnaire non plus. Mais il faut grandir, mon gars – j’ai envie de lui dire. Tu n’en as pas marre d’être un gamin? Le syndrome de Peter Pan, tu connais? Il me rappelle les obsessions de jeunesse éternelle d’Arielle Dombasle ou de Berlusconi. Pas une ride, pas un gramme de graisse. Il me nargue, du haut de son immuabilité. Est-il jeune, vieux, triste, fatigué, joyeux? Son silence arrogant est insupportable. On dirait un homme d’avant #Metoo qui se prend encore pour Don Draper dans Mad Men. Quant au coronavirus, ce confiné d’appartement de toute éternité n’en a cure. 

Mon ficus nain et moi sommes de toute évidence arrivés au bout de notre relation affective. Je pourrais m’en débarrasser. Mais ça ne se fait pas. On ne jette à la poubelle ni son chat, ni son ex-amoureux, ni sa plante verte. Mon ficus nain fait partie de la famille désormais. Après le meilleur, nous en sommes au pire.

S’il s’en rend compte, et meurt de chagrin, je ferai mon meaculpa. Sinon, je le prends avec moi à la Migros, sans masque, la prochaine fois que je fais mes courses.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Les dérives du cinéma français

En prônant un cinéma d’auteur, François Truffaut visait à défendre le metteur en scène face à des puissances rivales – les scénaristes, les acteurs et les producteurs, nous explique Geneviève Sellier dans «Le culte de l’auteur. Les dérives du cinéma français» qui vient de paraître aux éditions La Fabrique. Une (...)

Yves Tenret
Accès libre

L’abbé Pierre accusé: une bonne nouvelle?

Les accusations contre l’abbé Pierre demeurent au cœur de l’actualité. Des révélations font surface ces derniers jours encore. Est-ce un drame? Assurément, surtout pour les victimes. Peut-on en tirer quelque leçon bénéfique? Oui, nécessairement. Réflexion.

Loris Salvatore Musumeci

Le film de madame Angot

Salué par une presse unanime, «Une Famille» de Christine Angot est un premier film qui prouve surtout le nouveau statut d’intouchable de son auteure, quasiment sanctifiée par le mouvement #MeToo. Pourtant, c’est un «auto-documentaire» passionnant qui mérite qu’on s’y attarde avec un minimum de circonspection.

Norbert Creutz
Accès libre

Jeu de massacre à Gstaad

Film maudit depuis sa présentation à la dernière Mostra de Venise, «The Palace» de Roman Polanski est une comédie satirique sauvage située dans un grand hôtel au tournant de l’an 2000. Sans doute pas du meilleur cru et plus vraiment dans l’esprit du temps, mais très drôle et personnel tout (...)

Norbert Creutz
Accès libre

Dieu n’est pas mort: il est juste très occupé!

André Malraux, souvent cité à tort, n’a jamais dit que «le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas». C’eut été une trahison de sa pensée. Il revendiquait par contre cette variante: «le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas».

Accès libre

Petit massacre sororiel: les lendemains qui chantent du nouveau féminisme

La femme est une et indivisible. Elle n’a pas d’autre dieu qu’elle-même. Elle tua son père avec beaucoup de dextérité, en l’épluchant comme une patate, à l’exemple de l’héroïne d’un polar commis par Sandrine Rousseau, sorcière en chef des boutefeus écolos français. Avec fureur et détermination, chaque femme digne de (...)

Accès libre

Délices d’été: les corps en chaleur

L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon pour la tête. Episode 6: (...)

Accès libre

Délices d’été: les promenades en hauteur

L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon Pour La Tête. Episode 3: (...)

Accès libre

Délices d’été: les plaisirs du lac

L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon Pour La Tête. Episode 2: (...)

«L’effacement soit ma façon de resplendir»

C’était en 1977. J’écrivais déjà pour la presse. Je collaborais alors à l’hebdomadaire romand «La Vie protestante» et je m’étais rendu à Grignan pour interviewer Philippe Jaccottet. C’était au temps des «Chants d’en bas» et de «A travers un verger». J’ai retrouvé cet entretien qui, bien que près d’un demi-siècle (...)

Accès libre

Improbable nostalgie

Est-ce que vraiment, au bon vieux temps des croisades, la société était plus juste à l’égard des femmes? C’est pourtant ce que suggère la légende de la «masculinisation» de la langue française.

Peintres de la vie moderne

Avant que d’être le poète scandaleux des «Fleurs du Mal», Charles Baudelaire, dont on célèbre cette année le bicentenaire, a beaucoup écrit sur l’art. Durant toute sa vie, il n’a jamais cessé de fréquenter les ateliers. Comme plus tard Guillaume Apollinaire, grand admirateur de Picasso, qui fit beaucoup pour la (...)

Etonnants voyageurs

Le Havre, gare maritime, 29 mai 1935. Ils sont quatre du monde des Lettres arrivés de Paris. Les plus perspicaces ont reconnu Madame Colette, la grande Colette, qui vient de publier «La Chatte et Duo». Elle est en compagnie de Claude Farrère, l’auteur aujourd’hui quelque peu oublié de «La bataille», (...)

Accès libre

Ultramodernes bénitiers

Tout fout le camp? Mais non. Nous voilà revenus à un rituel millénaire: la purification des mains à l’entrée du temple – fût-il de la consommation.

L’altro viaggio

Au milieu du chemin de notre vie/ je me retrouvais dans une forêt obscure/ parce que la voie droite était perdue.» Qui ne connaît les trois premiers vers de cette œuvre unique, sans exemple, qu’est «La Divina Commedia»? Le poème de Dante Alighieri, dont cette année marque le 700e anniversaire (...)

Accès libre

Intimité

Quoi de neuf dans l’espace médiatique? Le témoignage intime. Oui, enfin, sauf que « Marie-Claire » et « Femina » font ça depuis au moins trente ans…