Les partis de droite sont plus diversifiés que les partis de gauche

Publié le 25 mars 2022

Session publique du Conseil des Etats. – © Swiss Parliament/Peter Mosimann

Les graphiques «Smartvote» sont formels: au parlement suisse, les partis de gauche ont un positionnement idéel plus homogène que les partis de droite. Aussi, selon une étude de l’observatoire des élites suisses parue en 2019, il en est de même pour le profil socio-professionnel des actuels élus: les non-universitaires sont davantage représentés à droite qu’à gauche (même à 50% au PLR et à l’UDC.) Ces deux faits illustrent une contradiction entre les discours de gauche et la réalité.

En 2023, les Suisses renouvelleront leur parlement. Une série d’enjeux de taille entoureront ce scrutin important. Mais il est parfois utile de jeter un coup d’œil plus affuté sur les représentants que nous avons encore actuellement à Berne. Car la composition d’un législatif dit quelque chose de la sociologie politique d’un pays. Deux prismes sont choisis ici: la diversité d’idées parmi les élus de chaque parti ainsi que leur profil socio-professionnel. Deux entrées a priori indépendantes mais qui touchent néanmoins à un thème commun: le pluralisme, garant, selon beaucoup de théories, d’une certaine représentativité de la société dans sa diversité.

Le pluralisme des idées, un gros mot à gauche?

On parle toujours de «l’avis des partis» sur tel ou tel sujet. Certes, les diverses formations politiques, par les votes de leurs délégués lors des assemblées, adoptent des résolutions, des prises de position, etc. Mais on oublie souvent que les partis sont composés de personnes, dont les plus importantes politiquement, dans une démocratie représentative, sont les élus. En s’intéressant aux parlementaires fédéraux, on remarque que les écologistes et les socialistes semblent beaucoup plus «unis» dans leurs idées que leurs collègues du centre et de droite. Les résultats du sondage «Smartvote» le montrent (voir les trois graphiques ci-dessous).

Elus du Conseil national en 2019, sondage Smartvote.

Elus du Conseil des Etats (premier tour) en 2019, sondage Smartvote.

Elus du Conseil des Etats (second tour) en 2019, sondage Smartvote.

Cette enquête demande aux candidats d’une élection en Suisse de répondre à 75 questions d’ordre politique («Etes-vous favorable à une hausse de l’âge de la retraite (p. ex. à 67 ans)?», «L’expansion du réseau mobile selon la norme 5G doit-elle se poursuivre?», «Le financement des partis ainsi que celui des campagnes pour les élections et les votations devrait-il être transparent?», ou encore «Les conditions de naturalisation devraient-elles être revues à la hausse?»). Sur la base des réponses, ces candidats sont classés selon un axe des abscisses «gauche-droite» et un axe des ordonnées «libéral-conservateur». Les résultats servent ensuite à générer des recommandations de vote pour tout citoyen qui participe à son tour au sondage.

La première conclusion que l’on peut tirer des graphiques ci-dessus, c’est qu’il semble régner, au sein de l’Assemblée fédérale actuelle, un plus grand écart d’idées politiques au sein d’un parti de droite ou du centre qu’au sein d’un parti de gauche. On pourrait objecter, avec raison, que les critères «libéral» versus «conservateur» sont moins pertinents à gauche qu’à droite, et que l’écart observé verticalement sur le graphique est donc biaisé. Or, on remarque également une plus grande distance sur l’axe horizontal entre les points les plus éloignés d’un même parti de droite que ceux d’un même parti de gauche. Ce qui signifie bien qu’il y a plus de différences entre les ailes gauche et droite d’un parti de droite (ou du centre) qu’entre les ailes gauche et droite d’un parti de gauche. Fait éclairant, le constat peut être vérifié avec d’autres élections sur le site de Smartvote, par exemple l’actuel scrutin vaudois.

Interrogé sur ces données, l’historien et juriste Olivier Meuwly, membre du PLR, prêche d’abord pour sa paroisse: «Le pluralisme des idées est une vertu sur le plan intellectuel». Mais il nuance aussitôt: «Cela peut être aussi un facteur de confusion ou de division sur le plan électoral.» Historiquement, les libéraux-radicaux ont toujours eu cette caractéristique, explique le spécialiste. Une caractéristique qu’il juge donc neutre: les partis de droite n’en ressortent pas plus légitimes. Il constate en revanche un écart entre le discours de gauche et la réalité de son corps d’élus: «La pluralité et la tolérance, brandies si souvent par le PS et les Verts, sont bien plus présentes chez leurs adversaires dans les faits. On le constate aussi dans des débats de société actuels, avec par exemple le courant woke de la gauche qui souhaite restreindre la liberté d’expression, censurer des œuvres, interdire certaines discussions, etc.»

La diversité des profils socio-professionnels, un atout? 

La discussion devient encore plus intéressante quand on se penche sur un autre schéma: celui de l’observatoire des élites suisses (OBELIS), de l’Université de Lausanne, représentant le profil socio-professionnel des politiciens actuellement sous la Coupole. Ceux-ci sont répertoriés selon la distinction «ayant suivi des hautes études – n’ayant pas suivi de hautes études». Le résultat semble comme calqué sur les graphiques précédents (pluralisme des idées):

Observatoire des élites suisses (Obelis) de l’Université de Lausanne, graphique publié dans Le Temps le 24 octobre 2019.

Là encore, Olivier Meuwly sourit: «Il y a une contradiction évidente entre le fait de se proclamer le parti des prolétaires et de ne plus l’être depuis longtemps au niveau de ses représentants, comme d’une partie de ses électeurs d’ailleurs.» Il n’empêche, en théorie, rien ne défend à un professeur d’université de s’intéresser à la condition des ouvriers. Mais il faut noter toutes les fois où la gauche, dans notre pays, place au premier plan de ses revendications l’égalité des chances, la dignité de chaque individu, le fait que chacun puisse et doive s’engager en politique ou dans un conseil d’administration, etc. Il y a donc un paradoxe évident entre la forte présence de ces thèmes au niveau de la posture de la gauche et la réalité des origines socio-professionnelles au niveau de ses représentants.

Encore une fois, il n’a pas été question ici d’évaluer positivement ou négativement une homogénéité d’opinions ou de parcours. Mais de pointer des faits et de les mettre en perspective avec le langage de la gauche. Cette famille de pensée, incontournable dans la vie politique suisse, devrait davantage se pencher sur ses paradoxes. «C’est une des conditions pour que la social-démocratie, prise dans ses contradictions internes, ne subisse pas une dégringolade à la française – moins violente, mais quand même. Le PS a connu récemment des défaites électorales à Zurich et à Fribourg. Le deuxième tour dans le Canton de Vaud sera un bon test», conclut Olivier Meuwly, pour qui rien n’est encore écrit.

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Politique

La France est-elle entrée en révolution?

Le pays est devenu ingouvernable et la contestation populaire ne cesse d’enfler. La France fait face à une double crise de régime: celle de la Ve République et celle du système électif. Les Français, eux, réclament davantage de souveraineté. L’occasion, peut-être, de mettre fin à la monarchie présidentielle et de (...)

Barbara Stiegler
Politique

A Lisbonne, une conférence citoyenne ravive l’idée de paix en Europe

Face à l’escalade des tensions autour de la guerre en Ukraine, des citoyens européens se sont réunis pour élaborer des pistes de paix hors des circuits officiels. Chercheurs, militaires, diplomates, journalistes et artistes ont débattu d’une sortie de crise, dénonçant l’univocité des récits dominants et les dérives de la guerre (...)

Jean-Christophe Emmenegger
Politique

La vérité est comme un filet d’eau pur

Dans un paysage médiatique saturé de récits prémâchés et de labels de «fiabilité», l’information se fabrique comme un produit industriel vendu sous emballage trompeur. Le point de vue officiel s’impose, les autres peinent à se frayer un chemin. Pourtant, des voix marginales persistent: gouttes discrètes mais tenaces, capables, avec le (...)

Guy Mettan
PolitiqueAccès libre

Pacifistes, investissez dans l’armement!

Le journal suisse alémanique «SonntagsZeitung» n’a aucun scrupule: dans sa rubrique Argent, il recommande désormais, avec un certain enthousiasme, d’acheter des actions dans le secteur de la défense… lequel contribue à la paix, selon certains financiers.

Marco Diener
Culture

Vallotton l’extrême au feu de glace

A propos de la rétrospective «Vallotton Forver» qui a lieu à Lausanne, dix ans après l’expo déjà mémorable du Grand Palais à Paris, et d’un petit livre d’une pénétrante justesse sensible de Maryline Desbiolles.

Jean-Louis Kuffer
Economie

La crise de la dette publique: de la Grèce à la France, et au-delà

La trajectoire de la Grèce, longtemps considérée comme le mauvais élève de l’Union européenne, semble aujourd’hui faire écho à celle de la France. Alors qu’Athènes tente de se relever de quinze ans de crise et d’austérité, Paris s’enlise à son tour dans une dette record et un blocage politique inédit. (...)

Jonathan Steimer
Histoire

La Suisse des années sombres, entre «défense spirituelle» et censure médiatique

En période de conflits armés, la recherche de la vérité est souvent sacrifiée au profit de l’union nationale ou de la défense des intérêts de l’Etat. Exemple en Suisse entre 1930 et 1945 où, par exemple, fut institué un régime de «liberté surveillée» des médias qui demandait au journaliste d’«être (...)

Martin Bernard
PolitiqueAccès libre

Qui a des droits et qui n’en a pas, la démocratie à géométrie variable

Les votations cantonales vaudoises en matière de droits politiques, notamment pour les résidents étrangers, soulèvent des questions allant bien au-delà des frontières cantonales et nationales. Qu’est-ce qu’une communauté? Qui a le droit d’en faire partie? Qui en est exclu? Est-ce la raison et la logique ou bien plutôt les affects (...)

Patrick Morier-Genoud
Politique

La guerre entre esbroufe et tragédie

Une photo est parue cette semaine qui en dit long sur l’orchestration des propagandes. Zelensky et Macron, sourire aux lèvres devant un parterre de militaires, un contrat soi-disant historique en main: une intention d’achat de cent Rafale qui n’engage personne. Alors que le pouvoir ukrainien est secoué par les révélations (...)

Jacques Pilet
Politique

Etats-Unis: le retour des anciennes doctrines impériales

Les déclarations tonitruantes suivies de reculades de Donald Trump ne sont pas des caprices, mais la stratégique, calculée, de la nouvelle politique étrangère américaine: pression sur les alliés, sanctions économiques, mise au pas des récalcitrants sud-américains.

Guy Mettan
Politique

Les BRICS futures victimes du syndrome de Babel?

Portés par le recul de l’hégémonie occidentale, les BRICS — Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud — s’imposent comme un pôle incontournable du nouvel ordre mondial. Leur montée en puissance attire un nombre croissant de candidats, portés par la dédollarisation. Mais derrière l’élan géopolitique, l’hétérogénéité du groupe révèle des (...)

Florian Demandols
Politique

Ukraine: un scénario à la géorgienne pour sauver ce qui reste?

L’hebdomadaire basque «Gaur8» publiait récemment une interview du sociologue ukrainien Volodymyr Ishchenko. Un témoignage qui rachète l’ensemble de la propagande — qui souvent trouble plus qu’elle n’éclaire — déversée dans l’espace public depuis le début du conflit ukrainien. Entre fractures politiques, influence des oligarchies et dérives nationalistes, il revient sur (...)

Jean-Christophe Emmenegger
SantéAccès libre

PFAS: la Confédération coupe dans la recherche au moment le plus critique

Malgré des premiers résultats alarmants sur l’exposition de la population aux substances chimiques éternelles, le Conseil fédéral a interrompu en secret les travaux préparatoires d’une étude nationale sur la santé. Une décision dictée par les économies budgétaires — au risque de laisser la Suisse dans l’angle mort scientifique.

Pascal Sigg
Politique

Pologne-Russie: une rivalité séculaire toujours intacte

La Pologne s’impose désormais comme l’un des nouveaux poids lourds européens, portée par son dynamisme économique et militaire. Mais cette ascension reste entravée par un paradoxe fondateur: une méfiance atavique envers Moscou, qui continue de guider ses choix stratégiques. Entre ambition et vulnérabilité, la Pologne avance vers la puissance… sous (...)

Hicheme Lehmici
Histoire

80 ans de l’ONU: le multilatéralisme à l’épreuve de l’ère algorithmique

L’Organisation des Nations unies affronte un double défi: restaurer la confiance entre Etats et encadrer une intelligence artificielle qui recompose les rapports de pouvoir. Une équation inédite dans l’histoire du multilatéralisme. La gouvernance technologique est aujourd’hui un champ de coopération — ou de fracture — décisif pour l’avenir de l’ordre (...)

Igor Balanovski
Sciences & TechnologiesAccès libre

Les réseaux technologiques autoritaires

Une équipe de chercheurs met en lumière l’émergence d’un réseau technologique autoritaire dominé par des entreprises américaines comme Palantir. À travers une carte interactive, ils dévoilent les liens économiques et politiques qui menacent la souveraineté numérique de l’Europe.

Markus Reuter