Le Modigliani de Bienne

Publié le 10 décembre 2017
L’artiste-peintre Joe Merenda vient de s’éteindre à l’âge de 54 ans. Cet iconoclaste prolifique pourrait bien voir sa cote monter en flèche après sa disparition.

Joe Merenda était un escroc magnifique. Il était le seul à avoir le droit de me traiter de «sale Bougnoule». En contrepartie, j’avais le privilège de le qualifier de «sale Rital». Un partout. Ca nous faisait rire ou pleurer. Tout dépendait de nos humeurs respectives et de l’actualité. Les deux étaient souvent assez noires.
Années Schwarzenbach
Nous partagions la caractéristique de n’être «pas d’ici». Il était originaire de Brescia, au pied des Alpes, mais était né dans la future ville de l’Avenir. Le politicien zurichois James Schwarzenbach s’apprêtait à devenir le premier conseiller national du mouvement d’extrême-droite «Action nationale». Sa cible préférée étaient les «travailleurs étrangers» – dont les parents de Joe Merenda. Des nuages commençaient à assombrir le ciel jusque-là radieux de l’Europe industrielle, même si la Suisse connaissait encore le plein emploi. Aux yeux d’une partie grandissante de la population, les Italiens, Espagnols et autres Portugais étaient «trop différents» pour pouvoir s’intégrer. Ils accordaient aussi trop d’importance à la religion. Ils étaient en quelque sorte les musulmans de l’époque. Au point qu’en 1970, une initiative populaire «contre l’emprise étrangère» n’était rejetée que par 54% des votants (les Suissesses n’avaient pas encore voix au chapitre…), malgré l’hostilité du Conseil fédéral, de la quasi-totalité des partis politiques, du patronat et des syndicats. A Bienne, un bar avait même placardé à sa devanture cet avertissement: «Interdit aux Italiens et aux chiens». Joe en gardera une souffrance éternelle.
Jean Genet
A l’époque déjà, Joe était un insoumis. La discipline scolaire n’était pas vraiment son fort. Seuls l’intéressaient les leçons de français et dessin. Tout comme Jacques Chirac cachait paraît-des recueils de poés...

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