La jeune femme qui veut secouer le Parlement

Publié le 15 octobre 2021
Ces deux dernières années, à mi-législature donc, on ne peut pas dire que les Chambres aient marqué l’histoire. Tous les commentateurs en conviennent. Le train-train, oui, les élans audacieux, bernique. Or une voix inattendue s’élève en Suisse alémanique: la nouvelle directrice du Think tank Opération Libero. Une juriste de 28 ans, née dans les Balkans, d’une famille musulmane, arrivée en Suisse à l’âge de trois ans. Elle y va fort dans une longue interview de la «NZZ».

Opération Libero tente d’incarner un courant libéral moderne, ouvert sur le monde, et bien que n’étant pas un parti, se propose de contrer l’UDC et de talonner la droite traditionnelle. Sanija Ameti: «Au lieu de se consacrer au bien du pays, le Conseil fédéral et les partis mènent la politique européenne en fonction de leurs échéances électorales et n’assument pas leur responsabilité constitutionnelle. On ne peut plus se contenter de perdre notre temps à contrer les initiatives de l’UDC. La Suisse doit se donner un socle pour le futur. Elle doit se redessiner. Opération Libero est une force libérale, hors partis, indépendante, y compris des calendriers électoraux. On en a besoin plus que jamais.»

«L’Enfant terrible» (en français dans le texte) de la politique suisse comme la qualifie la Schweizer Illustrierte se veut hors normes. Elle est en faveur d’une défense forte, pour un service obligatoire pour les femmes mais cela ne l’empêche d’avoir combattu ardemment la loi dite anti-terroriste qui selon elle s’appuie sur la notion de suspicion, étrangère aux fondements du droit. Elle a fort bien tenu tête à la conseillère fédérale Keller-Suter devant les caméras de la TV alémanique. Son engagement ne plaît guère à ses parents, traumatisés par le passé yougoslave, mais elle peut compter sur l’appui de son compagnon, un avocat de 39 ans, Florian Schmidt-Gabain. La gamine bosniaque grandie à Oerlikon est devenue une figure connue à force de travail. Occupée à son doctorat à l’université de Berne (sur le droit en cybernétique), elle passe ses soirées à agiter les idées sur les réseaux sociaux. «Pour masquer ma fatigue, je mets du rouge à lèvres…»

Les grandes causes de la passionnaria en devenir? Le journaliste de la NZZ lui fait remarquer que les extrémistes de tous bords, pour la liberté, pour le climat, font plus de bruit que l’Opération Libero. Réponse: «Nous allons forcer l’attention des partis sur les thèmes les moins aimés mais structurellement les plus importants: la politique européenne, la digitalisation, la cybersécurité, le soutien à un droit civique libéral pour le renforcement de la démocratie.» Pour elle, un ancrage institutionnel dans l’Union européenne n’est pas qu’une question économique mais a à voir aussi avec la sécurité globale du pays. «Pour la première fois dans les temps modernes, l’Union a créé en Europe une situation institutionnelle dans laquelle les conflits armés ne sont pas inévitables. L’UE a ainsi créé les conditions socio-économiques de la paix… C’est notre seule chance dans un monde qui risque l’abîme, où nous pouvons relever ensemble des défis tels que le climat, la numérisation et la géopolitique.»

Sanija Ameti ne craint pas de s’aventurer dans la définition de son libéralisme, fondée sur la notion d’égalité. «Tous ceux qui traitent le pouvoir ou la souveraineté de l’Etat comme une fin en soi n’ont pas leur place dans le libéralisme tel que nous l’entendons. Tous ceux qui craignent le pouvoir de l’Etat mais pas celui des entreprises n’y ont pas leur place. Pas non plus tous ceux qui sont prêts à discriminer les gens en fonction des circonstances de leur naissance.» Elle note alors qu’un quart de la population suisse n’a pas le droit de vote et applique néanmoins au quotidien ce qui a été décidé sans ces voix. Elle milite pour des naturalisations facilitées.

A cet égard comme à tant d’autres, elle fait grincer les dents du côté du PLR. Ses pointes sont dures, il est vrai. Pour elle les libéraux-radicaux ont tourné le dos à l’Etat de droit avec la loi anti-terroriste et n’empoignent pas les principaux problèmes qui se posent au pays.

Au lendemain de cette interview, la NZZ a publié un commentaire. Sanija Ameti y est qualifiée de «resplendissante» mais son mouvement «beaucoup moins». Il serait animé surtout par des militants des Verts libéraux, parti dont est membre sa nouvelle directrice. Il serait donc suspect d’électoralisme. Au vu des relations étroites entre la gazette zurichoise et le PLR, c’est piquant. Pas de quoi troubler cette figure montante qui rafraîchit le débat politique en Suisse.


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