Cultes et fraternités au Nigeria: de l’université au crime organisé

Publié le 16 juin 2020

Bibliothèque Kenneth Dike, Université d’Ibadan, Ibadan (photo 1960). – © Wikimedia Commons

Des rituels d'initiation violents et une organisation similaire à la milice armée: ce sont les méthodes utilisées par certaines confréries dans les universités nigérianes. Le gouvernement les a interdites pendant des années, mais elles continuent à fonctionner en attirant de nouveaux membres. Les fraternités sont accusées de violences et de crimes graves, dont plusieurs meurtres. Mais elles n'ont pas toujours été aussi violentes. À la fin des années 1950, alors que les pays africains revendiquaient leur indépendance, Wole Soyinka, prix Nobel de littérature, a été à l'origine de l'une d'elles, rapporte la BBC News.

On ne connaît pas le nombre de fraternités qui peuplent les campus dans tout le Nigeria, mais la violence de certaines d’entre elles, oui. Ces sociétés, également appelées fraternités et cultes de campus, portent des noms comme Vikings, Black Axe, Eiye (un mot de la langue locale yoruba qui signifie oiseau) et Boucaniers, comme l’explique BBC News. L’activité des adeptes de ces organisations secrètes sème la terreur et la mort depuis de nombreuses années dans les universités nigérianes.

 A l’origine, les fraternités se sont développées au Nigéria de manière plus intense dans les régions du sud du pays, où la présence des groupes ethniques Yoruba, Edo, Igbo et Ijaw est la plus notable. Le phénomène, lié aux fraternités étudiantes nord-américaines, a commencé avec la création d’une communauté au Collège universitaire d’Ibadan en 1950, important centre intellectuel du Nigeria de l’époque. Dans le contexte du mouvement d’indépendance de ces années-là, l’écrivain primé Wole Soyinka a fondé en 1957 la Fraternité des Pirates (également connue sous le nom de National Association of Sea Dogs) avec un groupe d’amis intellectuels connu sous le nom des Sept Magnifiques.

Les Sept Magnifiques s’opposaient à l’enseignement supérieur réservé aux seuls riches et à la position sociale déterminée par l’appartenance tribale. Ils ont donc créé une fraternité ouverte à tout étudiant masculin prometteur, quelle que soit sa tribu ou son origine ethnique. En 1972, les Pirates se sont séparés et ont subi un important schisme. Certains membres ont été expulsés parce qu’ils ne se conformaient plus aux normes académiques et intellectuelles élevées établies par le groupe et les exclus ont fondé la confrérie des Boucaniers.

D’autres insoumis ont fini par fonder la Supreme Eiye Confraternity en1968. Alors qu’en 1972 naissait la fraternité Black Axe, groupe dissident du Nouveau Mouvement Noir en Afrique. Depuis lors, la croissance et l’extension de ces fraternités dans différentes universités du pays ont été exponentielles.

Par la suite, ces sectes ont été accusées d’être à l’origine de graves violences, allant du harcèlement des professeurs pour obtenir de bonnes notes jusqu’au meurtre, explique BBC News.

A l’origine, le système de confraternité au Nigeria n’était cependant pas aussi violent. «A aucun moment, je n’ai imaginé que quoi que ce soit puisse dégénérer», a déclaré le prix Nobel de littérature, Wole Soyinka à la BBC. Il décrit les fraternités d’aujourd’hui comme des «groupes vils et maléfiques».

Les confréries, fondées avec de nobles intentions et inspirées par de grands idéaux, n’ont pas tardé à réorienter leur activité vers le crime organisé. Certains sont même accusés d’activités criminelles jusqu’en Europe.

La responsabilité de cette dérive incombe également aux autorités politiques et au personnel universitaire qui ont engagé des membres de la confrérie pour contrôler les individus et les groupes sociaux qui se sentaient menacés. Cependant, les groupes, qui reçoivent de l’argent et des armes, les utilisent souvent pour régler des conflits liés aux rivalités intercommunautaires.

De nouveaux membres sont recrutés chaque année et les cérémonies d’initiation comprennent des passages à tabac et même des viols d’étudiants ou du personnel féminin de l’université.

Même pendant la période du confinement lié à la pandémie du covid-19, certains résidents ont signalé que les gangs étaient devenus plus audacieux et avaient cambriolé des maisons. D’autres rapports, en particulier sur les médias sociaux, ont fait état de gangs attaquant des personnes d’autres communautés dans ce qui semblait être des attaques massives et coordonnées.

Et pourquoi cela a-t-il dégénéré? s’interroge Wole Soyinka. «Au lieu que ces enfants soient traités comme les criminels qu’ils étaient, ils étaient protégés par leurs parents et leurs proches», a-t-il déclaré.

Désormais, pour certains jeunes Nigérians, l’appartenance à une secte est devenue la norme et pour beaucoup, elle semble être le seul moyen de sortir de la pauvreté, du discrédit et de l’insécurité.


L’article original sur BBC News est par ici.

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