Chronique catalane – La question à laquelle l’Europe démocratique devra répondre

Publié le 14 février 2019


Un texte de François Gilabert initialement publié sur lameduse.ch


Aujourd’hui débute à Madrid le procès politique de douze dirigeants indépendantistes.

Alors qu’à Madrid 45’000 manifestants ont réclamé la démission de Pedro Sanchez, jugé comme un président illégitime des espagnols car non élu lors d’une élection populaire mais porté au pouvoir par une motion de censure parlementaire contre son prédécesseur de droite Mariano Rajoy, cette même droite espagnole considère la nouvelle tentative de dialogue entre le gouvernement espagnol et le gouvernement indépendantiste catalan comme une haute trahison scandant les paroles suivantes: «pas de dialogue, putschistes en prison, l’unité nationale ne se négocie pas, Sanchez traître soumis au chantage des indépendantistes».

Le conflit catalan est donc renvoyé devant les tribunaux. Mais quid des principes mêmes de la démocratie et des lois et valeurs qui régissent les relations humaines? Le dialogue ne devrait-il pas transcender la violence et rechercher, en se basant sur le respect de l’autre et sur l’écoute qu’on lui accorde, l’acceptation de la pluralité des opinions, une solution pacifique aux conflits sous forme de compromis, de conciliations, d’accords, etc?

Malgré les témoignages filmés, des preuves irréfutables qu’ils n’ont pas appelé à la rébellion violente lors de la manifestation du 20 septembre 2017, deux leaders indépendantistes, pourtant militants de la non-violence, demeurent en prison comme des criminels de droit commun. La rébellion, autre terme proféré, provenant d’un passé pas si lointain qui, lorsqu’on le prononce, diffuse une odeur fétide de pensées libres noyées dans le sang. Rébellion dans le code pénal espagnol implique un soulèvement violent contre l’Etat, mais alors comment la justice va-t-elle juger les multiples et désastreuses tentatives de négociation entre le gouvernement de Rajoy et l’exécutif catalan qui ont mené non pas à un soulèvement par les armes, mais à l’organisation d’un référendum? Cette votation à laquelle ont participé pacifiquement plus de deux millions de catalans tous attachés à des valeurs démocratiques.

La seule violence constatée par les multiples journalistes et observateurs du pays ou de l’étranger présents lors de cette journée dramatique, a bien été celle des policiers dépêchés sur place par le gouvernement espagnol afin d’empêcher un vote par la force. Qui faudra-t-il donc juger? Les représentants politiques d’un peuple qui souhaite exercer son droit universel à l’autodétermination par le moyen d’un référendum? Ou l’Etat espagnol qui n’a pas su gérer le conflit?

A cette question l’Europe démocratique devra bien répondre. Jusqu’ici pourtant et malgré le désaveu infligé à l’Espagne par la justicie belge, allemande et écossaise qui n’ont pas trouvé matière à inculper de crimes les autres dirigeants catalans, le silence est de mise… L’Europe qui se veut moderne, créatrice d’un grand marché unique, peine elle-même à se bâtir politiquement sur des fondements démocratiques consensuels, car les pays qui la composent sont encore prisonniers de leur propre histoire, et entachés, pourrait-on dire, de «scories» autoritaristes. Ainsi, on évite de se préoccuper de ce qui se passe chez son voisin, par crainte d’être accusé d’ingérence, mais aussi par manque d’esprit critique, de volonté d’affronter ce qui menace un jour ou l’autre les valeurs démocratiques sur lesquelles s’est fondée l’Union européenne.   

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