Cannabis: la légalisation n’effraie pas les dealers

Publié le 22 octobre 2018
Le 17 octobre, le Canada est devenu le second pays du monde à légaliser le cannabis récréatif, dans la lignée des promesses de campagne du premier ministre Justin Trudeau. Les objectifs d’une telle décision sont clairs: arroser les caisses de l’Etat, contrôler les consommations et lutter contre le trafic de rue. Sur ce dernier point, le combat est loin d’être gagné, comme l’ont confié des dealers à «Vice Québec».

Maintenant que le cannabis peut être vendu en boutique, en total accord avec la loi, les vendeurs illégaux pourraient bien voir leur chiffre d’affaire s’amenuiser. Mais qui dit loi, dit réglementation. Et la création de la Société québécoise du cannabis (SQDC), dans la partie francophone du pays, entraîne une gestion contrôlée de la vente. En conséquence, la légalisation ne semble pas trop inquiéter les acteurs du marché noir, comme en ont témoigné quelques-uns au magazine Vice.

«Les vrais stoners vont continuer à venir me voir, affirme l’un d’eux. Même s’il faut que je baisse mes prix, c’est pas grave1. Mais [à la SQDC] ils ne pourront pas acheter plus que 30 grammes à la fois. Donc, le gars qui fume une once [28 grammes] par semaine, il va venir me voir moi, ça lui coûtera moins cher, explique-t-il. Et il en aura autant qu’il veut.»

Magasins pris d’assaut

Non seulement l’achat du cannabis est limité à 30 grammes, mais en plus la nouvelle loi a entraîné une pénurie, ce qui fait que de nombreuses boutiques se sont retrouvées à court quelques heures seulement après la légalisation. Selon la Montreal Gazette, 38’000 commandes ont été passées en Ontario le jour même du changement de la loi, ainsi que 42’000 au Québec. Les revendeurs dénoncent un manque de réactivité des fournisseurs et les sites internet sont saturés. Selon la société qui gère l’importation, la vente et la distribution du cannabis au Canada, la weed vendue doit subir une batterie de tests pour être approuvée par l’institution Health Canada. Ce qui explique le retard d’approvisionnement. De plus, ils «ne peuvent pas faire pousser les plants de marijuana plus rapidement», se défend le porte-parole de ladite société.

Les habitudes ont la peau dure

La relation de confiance qui lie certains dealers avec leurs clients leur donne un avantage. L’un d’eux affirme que son business ne tarira pas car les gens cherchent avant tout de la qualité. Il ose un parallèle entre la SQDC et la Société des Alcools du Québec (SAQ): «Le but de la SAQ, c’est de vendre de la quantité, pas de la qualité. Quand tu veux un bon vin de qualité, sans produits chimiques, tu commandes auprès d’un importateur privé, explique-t-il. Quand les gens vont vouloir de la weed artisanale, ils viendront me voir. Il y a plein de vendeurs comme moi qui vont continuer.»

Et puis cette sérénité des trafiquants s’explique également par le fait que rare sont les dealers qui ne vendent que du cannabis: «Les gars ont tous une autre activité, tu ne fais pas assez de cash juste avec la weed, explique l’un d’entre eux. Soit ils vendent de la poudre ou des pilules, ou ils ont un autre job, donc ça change rien pour eux.»

«On a voulu avoir des permis, mais c’est impossible à avoir»

Malgré le durcissement drastique de la loi – un vendeur illégal risque désormais jusqu’à 14 ans de prison – pas question pour les dealers de laisser tomber: «C’était déjà illégal et je le faisais, je vais donc continuer à le faire illégalement», témoigne l’un d’eux. Pas question non plus de se mettre à vendre du cannabis légalement, puisque la loi rend très difficile une reconversion. La Tribune nous apprend que les détenteurs d’un dossier criminel en matière de production de cannabis ne pourront pas travailler légalement dans ce domaine au Québec: «On a voulu avoir des permis, mais c’est impossible à avoir, c’est juste les amis [du gouvernement] qui ont ça, se plaint un des dealers.»

La vente illégale a donc encore de beaux jours devant elle.


1Le cannabis se vend 5,25 dollars canadiens le gramme en magasin. Environ 4 francs suisses.


Retrouvez l’article original sur le site de Vice Québec

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