A mort la musique d’ambiance

Publié le 7 décembre 2020
Mais pourquoi diable la sensibilité écologique reste-t-elle indifférente à cette pollution sensorielle majeure, ce fléau vicieux qu'est la musique de fond obligatoire et généralisée?

Ok, je vais passer pour la rabat-joie de service, mais voilà. Cet été, au sortir de sa bulle confinée, tout le monde était d’accord pour regretter le silence. Beaucoup venaient de le découvrir: le silence est un exhausteur de sens, il donne du relief à nos vies.

Je ne parle évidemment pas du silence désertique, total. Je parle de cette réalité établie par Alain Corbin dans «Histoire du silence»: au Moyen-Age, les rues de nos villes étaient plus bruyantes qu’aujourd’hui. Ce qui distingue notre époque, ce n’est pas l’intensité du bruit, c’est la disparition du silence.

C’est, par exemple, cette musique d’ambiance systématique et généralisée que l’on subit dans les magasins, les ascenseurs, les garages, les fitness, les gares, les aéroports, les restaurants et jusque sur les terrasses au bord du lac et les pistes de ski. J’oubliais les rues. Il y a désormais des rues youp-là boum, comme le Petit-Chêne à Lausanne. La musique d’ambiance généralisée est un fléau vicieux qui aplatit notre présence au monde. Et qui m’oblige à gueuler à l’oreille de mes amis au restaurant, alors que j’aspire à une conversation, un échange de parole parfumé des nuances infinies de nos voix, vous voyez? A mort la musique d’ambiance!

Jusqu’ici, je me suis sentie très seule. Au sortir du confinement, j’étais gonflée d’espoir: la perception a changé, tout comme le CO2 dans l’atmosphère et le plastique dans les océans, la musique d’ambiance sera désormais ressentie comme une source de pollution majeure. Il va se passer un truc!

Et bien non. Quand les restaurants ont rouvert, je me suis retrouvée dans une salle à manger aux tables raréfiées, servie par un garçon masqué. Mais tout de même obligée, pour me faire entendre, de me rapprocher dangereusement de mon copain et de lui postillonner dans l’oreille. Sanitairement incorrect, en plus.

Lundi, un article du «Temps» m’apprenait que, en vue de la réouverture des bars et restaurants le 10 décembre, les autorités vaudoises ont envisagé d’y interdire la musique. Mais qu’un coup de téléphone de ce même journal a suffi pour les faire reculer. Elles ont craint le suicide politique.

Contrairement à ce que suggère mon titre, je n’aime pas les interdictions. Et bien sûr, un bar sans musique n’est pas un bar. Alors je propose de prendre la chose par l’autre bout: les restaurants qui offrent cette rareté − la possibilité d’un agréable échange verbal à table − sont priés de se signaler. Mine de rien, je crois que c’est un créneau d’avenir: les écolos de la sono sortiront du bois s’ils ne craignent plus de passer pour des rabat-joie.  

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