Le Chili en pointe contre l’obésité

Publié le 25 février 2020
Initié en 2016 par la présidente socialiste Michelle Bachelet, l’étiquetage nutritionnel des boissons sucrées a fait baisser leur consommation de 25%. La mesure pourrait avoir un effet positif sur la santé publique, dans un pays où le taux d’obésité dans la population est l’un des plus élevés au monde.

«Un résultat aussi probant au niveau national, dans la première année de l’étude, est de l’ordre du jamais vu» s’enthousiasme Lindsey Smith Taillie, épidémiologiste nutritionnelle à l’université de Caroline du Nord. «C’est comme ça que le monde doit véritablement s’attaquer au problème de l’obésité.»

Au Chili, trois quart des adultes et la moitié des enfants souffrent de surpoids ou d’obésité. Ce qui a décidé les autorités, et en particulier le gouvernement socialiste de Michelle Bachelet, est peut-être cet autre chiffre: d’ici 2030, on estime que 4% du budget total de la santé serait consacré exclusivement au «coût de l’obésité»: maladies cardiovasculaires, diabète, problèmes respiratoires, articulaires, etc. 

C’est pourquoi des mesures drastiques ont été prises dès 2016, en dépit de l’opposition énergique des multinationales de l’agro-alimentaire. La publicité pour la «junk food» à destination des enfants, mettant en scène notamment des personnages de dessins animés, est interdite à la radio et à la télévision entre 6 heures et 22 heures. On ne trouve plus de boissons sucrées, de chips ou de barres chocolatées dans les écoles. Et surtout, l’étiquetage nutritionnel sur les boissons et les aliments à forte teneur en sucre est désormais obligatoire. Des autocollants noirs de forme octogonale avertissent clairement les consommateurs: «Alto en calorías», «Alto en azúcares» (riche en calories, riche en sucres…)

Les résultats ne se font pas attendre. Et le nouveau président chilien, le milliardaire conservateur Sebastian Piñera, bien que réfractaire à ces restrictions, n’a pu qu’en apprécier les effets. 

La consommation de sodas a diminué de 25%, au profit de l’eau minérale, des jus de fruits et des boissons «light». Sans différence notable en fonction des classes sociales, les experts ont constaté qu’au supermarché, les enfants signalaient eux-mêmes les produits à éviter à leurs parents.

Les multinationales comme PepsiCo, Nestlé ou Coca-Cola ont dû répondre à la pression, et ont modifié la formulation de centaines de produits de leur gamme pour correspondre aux standards nutritionnels. Une porte-parole de Nestlé indique que la marque a éliminé plus de 3000 tonnes de sucre dans ses céréales et ses produits laitiers commercialisés au Chili. 

Le gouvernement ne compte pas s’arrêter là. Conseillé par des experts en nutrition et des médecins américains, il étudie maintenant la mise en place d’une «méga taxe» sur les aliments fortement caloriques et gras, comme les pizzas surgelées, les nouilles instantanées, les hamburgers, les frites. «Ce n’est que le début d’un profond changement en faveur d’une alimentation plus saine» approuve Barry M. Popkin, l’un de ces spécialistes. 

Depuis 2016, le Pérou, l’Uruguay et Israël ont adopté des mesures similaires; le Brésil et le Mexique en débattent, et des dizaines de pays, riches ou en voie de développement, considèrent sérieusement la mise en place d’un étiquetage nutritionnel clair. 

La Suisse, en matière d’obésité, est légèrement au-dessous de la moyenne de l’OCDE: 55% de la population est en surpoids et 9,5% est obèse. 7,7% des dépenses de santé sont consacrées à l’obésité et ses conséquences. D’ici à 2050, on estime que l’espérance de vie en sera diminuée de 1,9 année. Pour répondre à l’urgence sanitaire, l’étiquetage nutritionnel doit être discuté, et est activement soutenu par la Fédération Romande des Consommateurs

En France, l’émission très populaire de France 2 Cash Investigation a fait la lumière il y a quelques années sur la puissance du lobby du sucre: l’étiquetage des aliments trop caloriques n’est toujours pas la règle. La lutte contre l’obésité est donc bien une affaire de volonté politique. L’expérience menée au Chili prouve que l’on peut agir.


Lu dans un article du New York Times à consulter ici.

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