Ce qu’annonce la révolte des Gilets jaunes
La violence de cette journée d’insurrections ne doit pas cacher l’enjeu politique. Premier constat: cette colère montée d’en bas marque l’échec d’Emmanuel Macron. Ses premières mesures, l’abolition de l’impôt sur la fortune, l’allègement de celui sur les entreprises, suivies par un surcroît de taxes pour les retraités, l’augmentation de celles sur les carburants, des coupes dans les budgets sociaux: il y avait tout pour mettre le feu aux poudres. Que le président ait choisi cette politique pour «plaire aux riches» ou qu’il ait cru sincèrement à son efficacité, peu importe, cela ne marche pas. Les faveurs accordées aux détenteurs de la richesse n’ont pas amélioré le paysage économique. Les sous ne sont pas allés dans l’innovation, la création d’entreprises et d’emplois, dans un élan de croissance: ils ont filé vers les bourses internationales si ce n’est dans les paradis fiscaux. C’est là le péché originel de ce mandat. Ce ne sont pas des rustines sociales collées à cette machine qui renverseront le courant.
Tout a été dit sur le choc produit par la soudaine mise en lumière d’une réalité pourtant connue: des millions de personnes, en France, n’arrivent plus à s’en sortir avec leurs trop maigres ressources. Il a suffi qu’une femme trentenaire, mère de deux enfants, dans sa province du nord, trouve la géniale idée de dire cela en proposant de porter des gilets jaunes pour que tout s’emballe grâce aux réseaux sociaux, en marge de tous les partis, de tous les syndicats. Avec de surcroît la formidable amplification médiatique grâce aux chaînes d’information de la télévision. C’est un fait historique.
C’était une trouvaille symbolique. Les Françaises et les Français qui se sentent ignorés dans les palais parisiens, invisibles en quelque sorte, ont trouvé le moyen de dire: nous sommes là, et en colère. La revanche des oubliés, des sans-voix, des désabusés, des abstentionnistes.
La belle histoire a évidemment été aussitôt ternie par l’irruption dans ce sillage de toute sorte d’agitateurs d’extrême-droite et d’extrême-gauche, par l’arrivée de la cohorte des casseurs. Ceux-ci ont remporté une victoire symbolique aussi: la police n’a pas réussi à les empêcher de taguer l’Arc de Triomphe et d’y chambarder ses expositions. Cela malgré l’engagement de plusieurs milliers d’hommes. Cette forme de guérilla urbaine est totalement nouvelle en Europe.
Il y a donc plusieurs leçons à tirer, au-delà du cas français. Des mouvements peuvent surgir en peu de temps, d’une puissance considérable, grâce aux réseaux sociaux. Des partis politiques, débordés dans tous les camps, peuvent tenter de les récupérer, mais à court terme, ils n’y parviennent pas. Le propre du phénomène, c’est que ces révoltés refusent toute représentation. Les Gilets jaunes ont quelques leaders, surtout des femmes, très structurés et éloquents, mais ils sont vite réduits au silence par les masses qu’ils ont mobilisées. Cela aussi est nouveau. L’élan est ainsi condamné à l’impuissance.
Parlons-en aussi des casseurs et de leurs sympathisants. Pour une part, il s’agit de jeunes gens totalement décervelés par l’éducation défaillante, par le divertissement abrutissant, par le vide politique autour d’eux. Et puis il y a des durs qui jouissent dans la castagne. Comme on les voit chez les supporters de foot comme dans les mouvances d’extrême-droite. Une envie de violence qui rôde dans les bas-fonds de la société et chez les anarchistes de l’extrême.
Où mèneront ces éruptions pacifiques ou violentes? Elles n’abattront pas les institutions républicaines dans l’immédiat. Mais elles conduiront forcément à une redistribution de cartes politiques. Tôt ou tard. Aux élections européennes du printemps prochain, aux prochaines présidentielles, ou avant en cas – peu probable – de dissolution de l’assemblée. Et là, le terreau créé par ces nébuleuses révoltées risque bien de faire place aux extrêmes. De gauche? L’heure de Mélenchon est passée, mais le très doué François Ruffin pourrait surgir. De droite? Dame Le Pen patinera, mais d’autres figures inattendues peuvent émerger. C’est de ce côté que souffle le vent si l’on en juge au cas, même différent, de l’Italie.
Ce qui se passe en France interpelle tous les Européens, même ceux qui se croient à l’abri. La détresse sociale induite par l’évolution des technologies et la concentration des richesses, est rampante partout. Plus ou moins atténuée, plus au moins enfouie, mais bien là. Qui la canalisera à son profit? A vous de voir.
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