Publié le 22 mars 2024
Après l'émission «Les Beaux Parleurs» du 17 mars dernier, la RTS a exprimé des «regrets» pour les propos «outranciers» du chroniqueur Slobodan Despot, tenus à propos des pays baltes. Notre lectrice Myriam Demierre s'interroge: où s'arrête donc la liberté d'expression? Et que nous dit cet incident médiatique de la mission de service public dévolue à la RTS?

L’émission «Les Beaux Parleurs» est, selon la RTS, «un talk show, spectacle de paroles: trois chroniqueurs et un humoriste revisitent l’actualité de la semaine écoulée sur le ton d’une dispute intelligente et spirituelle.» Bien…

La RTS connaît très précisément le positionnement de Slobodan Despot sur la plupart des sujets qui peuvent être abordés dans cette émission et c’est précisément la raison pour laquelle elle a choisi d’en faire l’un de ses chroniqueurs. Pour respecter la «pluralité d’opinion» que lui impose sa charte.

D’ailleurs, puisque la RTS semble avoir oublié pour quel poste elle a engagé Slobodan Despot, peut-être est-il bon de rappeler ce qu’est un chroniqueur (selon Wikipedia): «A la différence du critique, le chroniqueur jouit d’une grande liberté. Il peut exprimer son opinion personnelle au cours de son travail et parler à la première personne

En l’occurrence, Slobodan Despot a énuméré des faits avérés, qui sont facilement vérifiables par toute personne faisant preuve d’un soupçon d’honnêteté intellectuelle. Ces faits étant exposés, il en a tiré des conclusions personnelles, avec lesquelles on peut être d’accord ou pas. C’est bien là l’essence d’un «talk-show» (puisque la RTS préfère présenter ses émissions en utilisant des termes anglophones plutôt que le terme, sans doute ringard, de débat). Slobodan Despot semble donc bel et bien avoir accompli comme il se doit le travail pour lequel le paie la RTS. Mais puisque la RTS estime nécessaire d’exprimer des «regrets» pour les «propos outranciers» tenus par Slobodan Despot, quelques questions s’imposent:

1. Pourquoi, si les propos n’y sont pas si libres que ça, l’émission «Les Beaux Parleurs» est-elle toujours présentée comme un «talk show» sur le site de la RTS?

2. Si la RTS juge bon d’exprimer ses «regrets» pour des «propos outranciers», il est à supposer que sa charte a été enfreinte par Slobodan Despot. Dans ce cas, il serait bon de spécifier aux lecteurs de 24 Heures quels passages plus précisément. La charte de la RTS dit notamment ceci: «une responsabilité particulière dans la recherche de la vérité, l’impartialité, la pluralité et le respect de la personne.» En décrivant des éléments factuels, Slobodan Depot a fait preuve de recherche de la vérité. Il représente l’un des éléments nécessaires à la pluralité d’opinion censément chère à la RTS et n’a manqué de respect envers personne au travers de ses propos. Où est donc le problème? De quelle liberté d’expression et de quelle pluralité d’opinion la RTS se targue-t-elle exactement, si elle «regrette» des propos tenus par l’un de ses chroniqueurs?

3. De par sa «responsabilité particulière dans la recherche de la vérité», pourquoi la RTS n’a-t-elle pas spécifié aux journalistes de 24 Heures que Slobodan Despot a décrit des événements factuels et avérés en donnant les sources y relatives?

4. S la RTS «regrette» les propos «outranciers» de Slobodan Despot, pourquoi n’a-t-elle pas fait de même lorsque Coline de Senarclens a déclaré dans cette même émission, le 25 février dernier, que «la binarité homme femme, c’est une idéologie (…) et anti-scientifique.» Cette déclaration pourrait être considérée comme un manque de respect envers l’immense majorité des Suisses romands qui ont encore le culot de penser qu’ils sont des hommes ou des femmes parce qu’ils sont nés hommes ou femmes. Certaines des personnes visées (notamment les 23’000 parents ayant signé la pétition du Collectif Parents) ont potentiellement pu se sentir agressées par ces propos. Elles n’en ont pas fait toute une histoire car elles savent que «Les Beaux Parleurs» est une émission de débat et que la liberté d’expression est (pardon, devrait être) l’un des piliers de toute démocratie qui se respecte.

5. Comment la RTS peut-elle justifier qu’elle remplit toujours son mandat de service public si elle décide de manière aléatoire (ou partiale?) de s’excuser pour certains propos, prétendument d’extrême droite, alors qu’elle ne s’excuse pas pour certains propos semblant relever de l’extrême gauche? Qui, au sein de la RTS, décide du moment auquel il faut ou non exprimer des «regrets»? Sur la base de quels critères?

6. Pourquoi exprimer des «regrets» pour des propos pouvant très éventuellement et en cherchant vraiment très très loin, heurter des citoyens des pays baltes uniquement? La RTS serait-elle donc un service public des pays baltes? Dans ce cas, pourquoi Serafe n’envoie-t-elle pas sa facture aux citoyens des pays baltes?

Le peuple suisse va voter prochainement sur la question d’une baisse de la redevance. Nombre de citoyens ne se sentent plus représentés par le «service public». La RTS ferait bien d’y penser avant de se lancer précipitamment dans des «regrets» hors de propos, qui ne peuvent qu’attiser un manque de confiance grandissant au sein de la population.

De plus, s’il est besoin de le rappeler, la liberté d’opinion est un droit fondamental garanti par l’article 16 de la Constitution. Une opinion ne devrait donc en aucun cas constituer un quelconque «dérapage» dans une démocratie digne de ce nom. Le battage médiatique fait autour des propos d’un chroniqueur interroge donc sur l’état de cette démocratie.

Toute cette histoire est une non-affaire, qui me rappelle tristement deux autres non-affaires arrivées il y a pile trois ans et ressemblant en de nombreux points à celle-ci: quelqu’un a été payé pour effectuer un travail précis. Il accomplit ce travail selon les termes du contrat. Qu’on le laisse faire ce travail. Point final.

Myriam Demierre

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

CultureAccès libre

Vive le journalisme tel que nous le défendons!

Pourquoi BPLT fusionne-t-il avec d’Antithèse? Pour unir les forces de deux équipes attachées au journalisme indépendant, critique, ouvert au débat. Egalement pour être plus efficaces aux plans technique et administratif. Pour conjuguer diverses formes d’expression, des articles d’un côté, des interviews vidéo de l’autre. Tout en restant fidèles à nos (...)

Jacques Pilet

Une claque aux Romands… et au journalisme international

Au moment où le Conseil fédéral tente de dissuader les cantons alémaniques d’abandonner l’apprentissage du français au primaire, ces Sages ignorants lancent un signal contraire. Il est prévu, dès 2027, de couper la modeste contribution fédérale de 4 millions à la chaîne internationale TV5Monde qui diffuse des programmes francophones, suisses (...)

Jacques Pilet

Notre dernière édition avant la fusion

Dès le vendredi 3 octobre, vous retrouverez les articles de «Bon pour la tête» sur un nouveau site que nous créons avec nos amis d’«Antithèse». Un nouveau site et de nouveaux contenus mais toujours la même foi dans le débat d’idées, l’indépendance d’esprit, la liberté de penser.

Bon pour la tête

Quand la France et l’UE s’attaquent aux voix africaines

Nathalie Yamb est une pétroleuse capable de mettre le feu à la banquise. Elle a le bagout et la niaque des suffragettes anglaises qui défiaient les élites coloniales machistes du début du XXe siècle. Née à la Chaux-de-Fonds, d’ascendance camerounaise, elle vient d’être sanctionnée par le Conseil de l’Union européenne.

Guy Mettan

Des nouvelles de la fusion de «Bon pour la tête» avec «Antithèse»

Le nouveau site sera opérationnel au début du mois d’octobre. Voici quelques explications pour nos abonnés, notamment concernant le prix de l’abonnement qui pour eux ne changera pas.

Bon pour la tête

La bouderie des auditeurs de la SSR

Les derniers chiffres d’audience de la radio publique sont désastreux. La faute à l’abandon de la FM et à l’incapacité de ses dirigeants à remettre en question le choix de leurs programmes.

Jacques Pilet

«L’actualité, c’est comme la vitrine d’une grande quincaillerie…»

Pendant de nombreuses années, les lecteurs et les lectrices du «Matin Dimanche» ont eu droit, entre des éléments d’actualité et de nombreuses pages de publicité, à une chronique «décalée», celle de Christophe Gallaz. Comme un accident hebdomadaire dans une machinerie bien huilée. Aujourd’hui, les Editions Antipode publient «Au creux du (...)

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

Bon pour la tête étoffe son offre

Alors que les médias traditionnels se voient contraints de réduire leur voilure, les médias indépendants se développent. Cet automne, «Bon pour la tête» fusionnera avec «Antithèse», un site qui, comme le nôtre, résiste au conformisme dominant et aux idées toutes faites. Pour nos abonnés actuels, le prix ne changera pas, (...)

Bon pour la tête

Droit de réponse de la RTS

Suite à l’article de Guy Mettan du 4 juillet dernier, intitulé «Acculée, la SSR nous enfume et enterre sa radio en douce», la RTS nous a envoyé un droit de réponse. De son côté, Guy Mettan prend note de ces précisions qui, selon lui, ne remettent pas en question les (...)

Bon pour la tête

Comment sauver la radio et la TV publiques?

Pas sûr que la décision prise en faveur d’une plus grande centralisation de la SSR soit judicieuse dans un pays où le régionalisme est de mise. Pas vraiment tendance non plus.

Jacques Pilet

Acculée, la SSR nous enfume et enterre sa radio en douce

La SSR va entamer «la plus grande réorganisation de son histoire» avec 270 millions d’économies prévues d’ici 2029. Alors qu’elle vient de faire construire à Ecublens un bâtiment hors de prix qui n’apporte aucune plus-value à son organisation ni à ses programmes. Faut-il y voir une tentative désespérée de contrer (...)

Guy Mettan
Accès libre

«Désinformation»: le nouveau mot pour interdire les opinions

Faut-il vérifier et interdire les «fake news»? Pas systématiquement selon le journaliste allemand Jakob Schirrmacher, spécialisé dans l’éducation aux médias. Car la démocratie ne peut être protégée en restreignant la liberté d’expression et la contribution au débat. Dans son ouvrage, «Désinforme-toi!», il s’inquiète de l’ingérence de l’Etat dans le débat (...)

Heinz Moser
Accès libre

Comment diable s’y retrouver dans le vacarme?

Les soubresauts inouïs de l’actualité internationale ont sur nous divers effets. Les uns ferment les écoutilles, ras-le-bol de l’info. Chez d’autres, tout vient renforcer de vieilles certitudes liées aux camps du Bien ou du Mal. Et puis il y a ceux qui tentent de se faire une opinion propre, basée (...)

Jacques Pilet

Ci-gît le libéralisme, trahi par les siens

Le libéralisme économique a été tué par l’étouffement progressif de la concurrence, le libéralisme politique a été miné par l’effritement de la classe moyenne, les «droits humains» sont de plus en plus bafoués et le libéralisme des libertés a été éviscéré.

Guy Mettan

Combines entre médias

Un accord conclu entre la SSR et l’association des éditeurs suisses impose à ces derniers de positionner leurs titres contre l’initiative voulant ramener la redevance à 200 francs. Est-ce à dire que l’on peut acheter la faveur des journaux?

Jacques Pilet

Techniques médiatiques pour orienter l’opinion publique

L’histoire du magnat allemand de la presse Alfred Hugenberg (1865-1951), relatée par l’historien Johann Chapoutot dans son dernier livre, éclaire le fonctionnement et l’évolution des médias jusqu’à aujourd’hui. Et comment nombre d’entre eux ont mis les esprits libres au service de leur «vérité».

Martin Bernard