«Notre smartphone nous surveille, et c’est nous qui le lui permettons»

Publié le 22 juillet 2022
Les Etats et les grandes entreprises nous contrôlent entre autres grâce à des données que nous leur fournissons nous-mêmes. Une tendance accélérée par les guerres et les pandémies. Le magazine italien «L’Espresso» a analysé le dernier livre du sociologue écossais spécialiste de la surveillance numérique David Lyon.

«Le concept de surveillance a évolué au fil du temps, passant d’un acte réalisé par une autorité − par exemple par le biais de caméras dans la rue − à un instrument permettant d’atteindre d’autres résultats. Ce changement est dû principalement au développement technologique, à l’arrivée de systèmes de suivi beaucoup plus avancés qui ont fini par entraîner également une responsabilité pour nous, les citoyens. La surveillance est aujourd’hui généralisée et repose principalement sur des données qui sont collectées, partout et à tout moment, parfois subrepticement, de plus en plus souvent « volontairement » de notre part», explique le magazine italien L’Espresso au début de son article analysant le dernier livre du sociologue écossais David Lyon, Pandemic Surveillance, qui vient de paraître en italien sous le titre Gli occhi del virus. Pandemia e sorveglianza, chez Luiss University Press (il ne semble pas y avoir de traduction française pour l’instant).

Influencer et dicter nos comportements

Ces derniers mois, on a souvent cité Orwell et son fameux roman 1984, description d’une société totalitaire. Or aujourd’hui, la surveillance consiste à collecter sur chacun de nous des données sur la base desquelles ceux qui le souhaitent peuvent influencer et dicter nos comportements, par exemple électoraux, d’achat, ou en réaction à une guerre. «Et les systèmes basés sur l’accumulation de données finissent par être convertis très rapidement pour d’autres éventualités, comme ce fut le cas avec la pandémie.» Il s’agit là d’une des thèses développées dans le livre de David Lyon, «un vétéran de l’étude des systèmes de surveillance».

L’Espresso cite l’exemple de Clearview, une société de surveillance qui, selon l’ONG Privacy International, «collecte toutes les photos qu’elle trouve sur l’internet public et les stocke dans sa base de données. Elle vend ensuite l’accès à sa base de données à divers clients, notamment aux services de police qui peuvent y effectuer des recherches.»

«Ce qui a changé les choses, explique David Lyon à L’Espresso, ce sont les médias sociaux et les applications, et principalement le smartphone comme extension de notre corps». Aujourd’hui, la surveillance s’exerce surtout à travers les données «et le principal connecteur entre les gens et la surveillance est le smartphone, que David Lyon appelle le « dispositif de suivi personnel ». (…) Nos réactions à des événements, tels qu’une guerre, par le biais de likes, de partages de contenus, de commentaires, sont stockées puis potentiellement utilisées pour modifier notre perception de ce qui se passe autour de nous.»

Selon le sociologue, lors de l’épidémie de Covid est née l’idéologie du «techno-solutionnisme», c’est-à-dire la croyance que la technologie peut être une réponse à tout. Pour lui, l’exemple des exemples est le traçage des contacts, qu’on nous a vendu comme étant LA solution.

Au-delà de la question de la vie privée

Ce n’est plus seulement la notion de vie privée qui est en jeu, explique David Lyon: «La surveillance a des effets non seulement individuels, mais aussi profondément sociaux. La surveillance nous rend visibles aux yeux d’étrangers de manière inédite, et grâce à l’analyse des données par des algorithmes, elle nous représente également de manière particulière, et la façon dont nous sommes traités par les entreprises ou les institutions en dépend également. Il s’agit d’une question sociale et politique, c’est pourquoi, bien que la vie privée soit importante, nous devons aller au-delà de celle-ci pour obtenir plus de droits dans la gestion des données. Je pense que nous devons établir un nouveau contrat social numérique, adapté à l’époque dans laquelle nous vivons, et parvenir à des accords réels et conscients sur la manière dont les données sont utilisées, où et quand. Qu’est-ce qui est légal dans le monde et qu’est-ce qui devrait être interdit? Un tel outil pourrait s’avérer très utile lorsque nous serons confrontés à la prochaine pandémie mondiale. (…) Comme nous sommes tous impliqués dans l’utilisation de la technologie, nous devrions tous être impliqués, politiquement, pour surmonter les problèmes causés par le Big Data, l’intelligence artificielle, etc. Cette tâche ne peut et ne doit pas être laissée à la seule politique.»


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