Wokisme et transhumanisme, deux idéologies qui avancent main dans la main

Publié le 11 novembre 2022

© David Matos via Unsplash

De prime abord, les liens unissant le wokisme (mouvance radicale luttant contre les discriminations raciales, de genre ou LGBTQI+) et le transhumanisme (mouvement visant à dépasser la condition humaine grâce aux technologies) sont loin de sauter aux yeux. Ces deux idéologies modernes convergent cependant dans leur volonté de se débarrasser du corps humain biologique, trop limitant et surtout mortel.

Le wokisme est la nouvelle tendance à la mode au sein de la gauche occidentale. Des auteurs comme Jean-François Braunstein1 n’hésitent pas à considérer cette mouvance comme une religion, avec ses croyances et ses dogmes. Au cœur de ceux-ci se trouve la théorie du genre, qui récuse l’importance biologique des sexes. Selon les tenants de cette théorie, l’identité de genre (être un homme, une femme, etc.) ne dépend aucunement du sexe biologique. Elle n’est qu’un construit social fluide. Dans cette logique «transgenre», puisqu’une femme biologique peut choisir le genre «homme», les hommes peuvent tomber enceintes et enfanter. L’étape suivante est d’espérer, chirurgie aidant, pouvoir changer de sexe biologique, même s’il n’existe pour l’heure que des bases scientifiques contestées sur ces transformations médicales aux nombreux effets indésirables.

Le corps, cette «viande» méprisable

L’idéal transgenre repose en fait sur un dualisme corps-esprit exacerbé. Pour ses défenseurs, nous ne serions que de simples consciences, totalement indépendantes de la réalité matérielle de nos corps, de simples supports dont il est possible de disposer à l’envi. Il n’y a plus de socle commun de vérité. Seule compte l’affirmation de soi, subjective et libérée des identités traditionnelles. La théorie du genre est souvent comparée au gnosticisme, ce courant chrétien du IIème siècle AD taxé d’hérétisme, qui considérait le corps et le monde matériel comme le mal dont il faut se libérer. A la différence que les gnostiques ne niaient pas l’existence des différences biologiques. Ils considéraient simplement le monde matériel comme l’œuvre du malin et cherchaient donc à s’en libérer afin de retrouver leur essence spirituelle.

C’est à ce croisement que la théorie du genre rejoint l’idéal transhumaniste. On retrouve en effet dans la mouvance transhumaniste un mépris identique du corps périssable, régulièrement qualifié de «viande». Seule compte la conscience, qu’il devrait être possible de télécharger dans un ordinateur ou sur le cloud. C’est ce que cherche notamment à développer la start-up Netcome aux Etats-Unis. A l’image de Ray Kurzweil, qui travaille pour Google, un grand nombre de transhumanistes espèrent ainsi s’émanciper de la limite humaine ultime: la mort. C’est ce que défend aussi en France le médecin et entrepreneur Laurent Alexandre, qui assure que les développements de la «technomédecine» déboucheront sur «la mort de la mort». Cette confiance dans les possibilités de la science médicale à transformer les corps est partagée par le wokisme. «Le dépassement du biologique, la relance technicienne des fondements de la vie comme l’obsession scientiste pour la manipulation du vivant constituent les traits marquants d’un mouvement intellectuel convergent avec les intérêts économiques et politiques néolibéraux dominants», soulignait Jacques Testart dans la revue Zilsel en 2017.  

Des consommateurs déracinés

Le wokisme comme le transhumanisme sont en effet congruents avec le rêve d’une mondialisation économique poussée à son extrême, faisant fi des identités nationales et de naissance. L’humanité comme le genre doivent être fluides et soumis aux lois d’un grand marché international de consommateurs déracinés. C’est sans doute l’une des raisons du soutien des gouvernements occidentaux (France et Etats-Unis en tête) à ces idéologies – au wokisme en particulier. Ce n’est pas un hasard non plus si elles sont promues par les grandes industries culturelles américaines (dont Disney) et les GAFAMs.

Un récent rapport du Think Tank libéral Fondapol nous apprend que fin 2018, Twitter a modifié sa politique en matière de «conduite haineuse» afin de pouvoir bannir définitivement de sa plateforme ceux qui «mégenrent», autrement dit se trompent dans le genre d’une personne, et ceux qui «deadname» quelqu’un, c’est-à-dire ceux qui appellent un utilisateur en des termes reliés à son ancien genre. Le réseau aurait également banni des comptes de militantes féministes qui déclaraient: «Les hommes ne sont pas des femmes» («Men aren’t women»). Peut-être que le rachat de l’oiseau bleu par Elon Musk, ouvertement contre le wokisme, inversera cette tendance sur Twitter. Affaire à suivre.

Se libérer de la «forme»

L’entrepreneur Martine Rothblatt incarne à elle seule la convergence entre wokisme et transhumanisme. Transgenre depuis 1994, Rothblatt est à la tête de l’entreprise de biotechnologie United Therapeutics, spécialisée dans le développement de nouvelles technologies permettant de fabriquer des organes et de prolonger la vie des patients atteints de maladies pulmonaires. En 2018, elle était la PDG la mieux payée des Etats-Unis. Elle est aussi à l’origine de Terasem, un mouvement néo-religieux et transhumaniste basé en Floride. Le transhumanisme possède en effet une mystique, qui envisage l’expérience virtuelle permise par l’internet comme une sorte d’accès à une réalité supérieure d’ordre divine. Ce n’est sans doute pas un hasard si certains hippies des années 1970, fervents consommateurs de substances psychédéliques, sont devenus des technophiles convaincus, adeptes des mondes virtuels numériques. C’est le cas de Stewart Brand, ami de Steve Jobs et inventeur du terme «personal computer» ou de Timothy Leary, à la fois militant de l’usage des psychédéliques, «pape du LSD» et pionnier théoricien de la cyberculture.

Dans un livre publié en 2011, Martine Rothblatt écrit que le mouvement transgenre est la première étape d’une nouvelle révolution: celle de la liberté «de forme», comprendre le monde physique et ses apparences. Selon elle, la technologie sera le moyen d’y parvenir. «Notre corps disparaîtra, mais il n’y a aucune raison logique à ce qu’il en soit de même de notre personnalité que l’on pourra conserver sous forme digitale. Et, dans un futur proche, des programmes aussi faciles et accessibles qu’iTunes par exemple permettront de faire revivre une personne d’une autre façon», affirme Rothblatt. Dans son optique, le mouvement transgenre, dont elle est l’une des figures de proue, prépare les mentalités à cette révolution.

Une spiritualité débarrassée du matérialisme?

La volonté de dépasser les limites de la condition humaine terrestre n’est pas nouvelle. Elle était déjà présente, on l’a vu, chez les gnostiques. Elle est plus généralement au cœur des mouvements spiritualistes qui cherchent à sortir des carcans, par ailleurs bien réels, du matérialisme scientifique. Pour eux, les humains disposent d’une identité spirituelle non réductible au corps physique. Mais une différence fondamentale existe entre la plupart de ces courants et le transhumanisme: ils ne misent pas sur la technique, dernier avatar du matérialisme, pour accéder à une transcendance. Leur ambition est aussi d’«augmenter» l’homme, en quelque sorte, mais seulement spirituellement, grâce à un travail intérieur; non à l’aide d’implants bioniques ou de nanotechnologies. Dans cette optique, le corps humain n’est pas mauvais en soi. S’il fonctionne sainement, il est l’instrument dont nous avons besoin pour accéder aux réalités spirituelles (à travers la méditation, etc.).

Pour ces mouvements, l’immortalité terrestre dont rêvent les transhumanistes repose au contraire sur de dangereux sables mouvants (ceux du matérialisme réductionniste, du relativisme et du nihilisme). Sur une illusion qui ne fera qu’empirer l’aliénation des êtres humains et la destruction de la planète. Ainsi, selon le philosophe Jean-Marc Ferry: «Cet esprit [transhumaniste] détermine un regard froid et distancié sur le monde, regard de mort qui conditionne l’être humain pour l’indifférence, s’empare de sa nature intérieure propre, afin de la rendre aussi disponible aux manipulations que l’est la nature extérieure, privant l’humanité de l’imagination nécessaire à une projection d’alternatives crédibles au régime civilisationnel ainsi constitué2


1Jean-François Braunstein, La religion woke, Grasset, 2022. 

 2Jean-Marc Ferry, Qu’est-ce que le réel? Le Bord de l’Eau, 2019, p. 113. 

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