«Traiter le Covid comme la grippe»: l’idée audacieuse de Pedro Sánchez

Publié le 14 janvier 2022

Mesures sanitaires à Valence, en mars 2020. – © DR

Le quotidien espagnol «El Pais» rend compte d’un changement de perspective dans la gestion de la crise du coronavirus dans le pays. Dans un futur encore indéterminé mais proche, il en ira du Covid comme de la grippe: une surveillance sérieuse mais plus au cas par cas, une façon de sortir de l’état d’urgence permanent. «Risqué» pour les observateurs, «prématuré» selon l’opposition au premier ministre espagnol.

Depuis quelques semaines, les experts annoncent la possibilité d’un passage de la pandémie de Covid-19 au stade endémique. C’est dans cet esprit que l’Espagne a dévoilé son nouveau système de surveillance et de réaction face au virus: au lieu d’un décompte quotidien des cas et de la persistance d’un état d’urgence, anxiogène et épuisant pour tout le monde, la maladie sera scrutée comme le sont déjà depuis plusieurs années les vagues de grippe saisonnière, par un réseau de médecins et d’hôpitaux «sentinelles». Un certain nombre de cabinets médicaux et de centres hospitaliers serviront d’échantillon représentatif, à la manière des sondages, pour mesurer l’évolution de la maladie dans la population non plus le nez collé aux chiffres remontés des laboratoires mais statistiquement, par «extrapolations». Une façon de rendre également la peur du virus endémique. 

La raison invoquée? De plus en plus de personnes ont été en contact avec le virus et ont développé une immunité, soit après avoir guéri, soit en ayant reçu le vaccin. Il en résulte une dissymétrie entre les protocoles sanitaires, de plus en plus complexes et laxistes, et les restrictions, toujours plus strictes. De plus, souligne Amparo Larrauri, chef du groupe de surveillance des maladies respiratoires, l’énorme contagiosité du virus (et en particulier du variant Omicron) et la proportion croissante de cas positifs mais asymptomatiques, rendent quasi intenable la surveillance telle qu’elle est pratiquée depuis le début de la pandémie.

Concrètement, ce système permettra d’éviter la saturation des infrastructures de santé, cabinets, pharmacies, laboratoires, centres de test et services hospitaliers, actuellement débordés par la sixième vague. Mais rien ne changera dans la prise en charge et le traitement des cas graves, insistent les experts espagnols.

Pedro Sánchez s’appuie également sur la létalité du virus, actuellement «proche de 1%» pour enclencher cette stratégie que les experts du pays préparent depuis l’été 2020. Il s’agit bel et bien d’une «nouvelle réalité» poursuit M. Larrauri, qui explique que si l’Espagne est prête à la transition, elle demeure tenue par ses engagements internationaux. 

Mais s’il est entendu pour le gouvernement Sánchez que le nouveau système ne sera pas mis en place avant la fin de la vague actuelle, certains alertent déjà sur un excès de confiance. Le quotidien libéral-conservateur La Vanguardia souligne le visage «peu amical» que nous montrent le virus et ses mutations, et affirme qu’il serait prématuré de «libérer les protagonistes» de leurs «obligations». 

De fait, le glissement stratégique de l’Espagne est surtout sémantique. Au début de la pandémie, comparer le virus SARS-CoV-2 avec celui de la grippe revenait à en minimiser la gravité, à tort nous a enseigné l’expérience. Ce n’est pas l’idée de Pedro Sánchez. Au contraire: il s’agit de mettre en place une surveillance sanitaire pérenne et viable dans le temps long, conciliable avec le retour à une relative «normalité». «Il faut normaliser et surveiller le Covid, (…) en effectuant des tests PCR sur les patients hospitalisés et en continuant à étudier le virus et ses mutations» expose Iván Sanz, responsable du Centre national de la grippe à Valladolid. Sous-entendu: et ficher la paix aux autres…

«Cet expert nous rappelle que la grippe n’est pas une blague. Et traiter le Covid comme cette maladie, c’est encore la prendre au sérieux», poursuit l’article. 

La leçon à tirer de la manœuvre espagnole? Pour peut-être la première fois depuis près de deux ans, nous avons le choix: intégrer la lutte contre le Covid-19 à un arsenal solide et sûr de veille en santé publique, ou continuer à prolonger l’état d’urgence indéfiniment, multiplier les protocoles et les restrictions, avec toujours un train de retard sur l’épidémie.


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