Les pays de René Char

Publié le 14 juin 2019
Il y a le René Char surréaliste, qui fait le coup de poing à Paris avec ses amis Breton et Eluard, le poète de Ralentir travaux; il y a le René Char résistant, alias «Commandant Alexandre», responsable des zones de parachutage des Basses-Alpes. Et puis il y a le René Char de l’Île-sur-Sorgue, comme l’on dit dans le Midi. Le poète de Retour amont, l’écrivain des pierres et des sources. C’est ce René Char secret qui est à l’honneur durant tout l’été à Montricher, à la Fondation Michalski, à l’occasion d’une exposition exceptionnelle dont c’était hier soir le vernissage.

Intitulée «René Char, sources et chemins de la poésie», l’exposition de Montricher propose un parcours à travers la seconde partie de la vie et de l’œuvre de l’écrivain grâce à de nombreux manuscrits, mais aussi des livres d’artiste, des éditions rares illustrées par ses amis peintres, Braque, Miro, Picasso, Vieira da Silva. Des documents jamais montrés provenant notamment du riche Fonds René Char de la Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Lausanne, déposé par l’une des compagnes de l’écrivain, ainsi que de la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, à Paris, et de la Fondation Bodmer, à Genève.

L’après-guerre est pour Char une période de renouveau. Il retrouve son pays de Vaucluse où il est né en 1907: «Ma toute terre, comme un oiseau changé en fruit dans un arbre éternel, je suis à toi.» C’est l’enchantement de la redécouverte d’une nature pour partie encore inviolée. Il publie Fête des arbres et du chasseur avec des gravures de Miro ou encore Le Soleil des eaux, illustré par Braque. Car Char a toujours fréquenté les peintres, a écrit sur eux. Ainsi ces quelques pages magnifiques que je conserve dans ma bibliothèque, Picasso sous les vents étésiens, rédigées en 1973 pour l’ultime exposition du Malaguène à Avignon.

«Ce qui permets aux sources de se faire»

1954. La vente de la maison familiale à la suite du décès de sa mère est un déchirement pour Char qui retourne à Paris. Mais sa terre lui manque et en 1960, il acquiert le «bastidon» des Busclats, tout de près de L’Île-sur-Sorgue. C’est déjà le Luberon magique, celui des collines odorantes, des sentes oubliées, des vallons secrets. Avec ses villages alors à moitié en ruines, Sivergue, Buoux, Miridol. Ce «pays d’amont, pays sans biens», qui ne représente pas pour Char un retour aux sources, mais plutôt, comme l’observe Danièle Leclair, commissaire de l’exposition, cheminement vers «ce qui permet aux sources de se faire.»

René Char, Nous avons, eau-forte de Joan Miro © Succession René Char/Successió Miró

En 1971, la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence, consacre à Char une exposition, la première. Ce qui incite Albert Skira à commander à l’écrivain un volume pour la collection «Les sentiers de la création». Ce sera La nuit talismanique. Car aux éblouissements solaires, Char préfère désormais la nuit. Et c’est Aromates chasseurs (1975). La nuit d’Orion, celle des étoiles, de la chouette, du rossignol.

Aujourd’hui, trente et un ans après sa mort en 1988, René Char demeure l’un des poètes les plus lus et sa leçon d’une étonnante actualité:«Ne permettons pas qu’on nous enlève la part de nature que nous renfermons. N’en perdons pas une étamine, n’en cédons pas un gravier d’eau.»


«René Char, sources et chemins de la poésie», Fondation Jan Michalski pout l’écriture et la littérature, Montricher, jusqu’au 29 septembre.

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