Les migrants du grand bleu

Publié le 10 mai 2019

Quelques-unes des 170 îles de l’archipel des Tonga. – © Sandrine

Si les îles du Pacifique font toujours rêver, la réalité est parfois moins paradisiaque. Bon Pour La Tête vous invite à découvrir les côtés pile et face des îles et archipels du Triangle Polynésien, soit le Royaume de Tonga, les Marquises, Tahiti, l’île de Pâques, Hawaii et la Nouvelle Zélande. Un brin d'histoire, une pincée de couleurs locales, une cuillerée de vie quotidienne, cela vous va?

Notre épopée commence au Royaume de Tonga, à 17’000 km de la Suisse. Pourquoi Tonga? D’une part parce que c’est là, en plein milieu de cet océan Pacifique, plus vaste que l’ensemble des terres de la planète, qu’ont débarqué les premiers Austronésiens, venant vraisemblablement de Nouvelle-Guinée – à 5000km de distance – il y a quelque 3300 ans.

D’autre part, le Royaume de Tonga se situe tout juste à l’ouest de la ligne de changement de date et est donc le premier pays à accueillir quotidiennement le jour nouveau.

Après s’être installés à Tonga, ceux que l’on appelle désormais Polynésiens («îles nombreuses» en grec), poursuivront leurs migrations, d’abord vers les îles Marquises – à près de 4000 km – en l’an 300 de notre ère, puis sur Tahiti trois siècles plus tard, remontant ensuite au nord sur Hawaii vers l’an 800, puis au sud-est sur l’île de Pâques en l’an 1000. Et enfin, à l’autre bout du Pacifique, en Nouvelle Zélande, vers l’an 1200.

Naviguant des semaines durant sur des pirogues doubles pouvant atteindre 30 mètres de long et pesant jusqu’à 10 tonnes, ces migrants se dirigeaient au gré des vents et se repéraient grâce aux étoiles et aux courants marins. Emportant avec eux des animaux tels que des cochons et des poules, ainsi que diverses plantes et racines, ils n’eurent aucune peine à s’installer sur de nouvelles îles, fruits et poisson complétant leur alimentation.

Ce qui explique qu’aujourd’hui encore, on retrouve des éléments culturels communs aux îles du Triangle Polynésien, que ce soit au niveau du langage, de la nourriture, des tenues vestimentaires fleuries, de la musique, de la danse et de l’artisanat.

Tonga côté pile

Devenu royaume au 10ème siècle, Tonga fut la première et reste la dernière monarchie de Polynésie, seul archipel à ne jamais avoir été colonisé. Régnant sur quelque 170 îles, dont une quarantaine habitées, le roi Tupou VI réside, comme 70% de sa population constituée de 110’000 habitants, sur l’île principale de Tongatapu.

La majorité de la population vit de l’agriculture et de la pêche, mais le pays dépend fortement de l’aide financière des quelque 200’000 Tongais résidant en Australie et Nouvelle Zélande et de l’apport du tourisme.

Si le roi Tāufaʻāhau Tupou IV, décédé en 2006, n’était pas un fan du tourisme, craignant que ces sujets m’abandonnent leur vie traditionnelle pour devenir serveurs ou femmes de chambre, ses successeurs voient manifestement les choses autrement. C’est que Tonga a des atouts quasiment uniques.

En effet, chaque année, entre fin juin et fin septembre, après avoir passé l’été austral à se nourrir de krill en Antarctique, des dizaines de baleines à bosses, monstres de quelque 25 tonnes, viennent se reposer ou mettre bas et allaiter leurs bébés dans les eaux tropicales de Vava’u, une des îles au nord de l’archipel. Et le royaume est un des très rares endroits au monde où il est possible de nager avec ces mammifères, une expérience extraordinaire.

© Sandrine

Ainsi donc, en saison, des centaines de visiteurs débarquent à Neiafu, principal village de Vava’u ou sur un des motu, ces îlots de sable corallien, sur lesquels ont parfois été construits des mini hôtels-bungalows et de là, munis de leur masque et tuba, embarquent à bord de petits bateaux pour aller nager avec les baleines.

Lynn et son mari – originaires de Nouvelle Zélande – se sont installées sur un motu il y a plus de 20 ans, et leurs quatre bungalows ne désemplissent pas. «Alors que les baleines mâles paradent et sautent parfois de plus de 3 mètres hors de l’eau, retombant en frappant l’eau avec leurs nageoires pectorales pour impressionner les femelles, ces dernières restent calmement à côté de leurs petits (lesquels, précisons-le, mesurent plus de 4m à la naissance et pèsent dans les 700kgs!)  C’est tout simplement fabuleux» nous dit-elle.

Et il est vrai que, même pour des «non nageurs», le spectacle vaut le déplacement.

Pour nous, qui avons choisi de nager avec elles: wouahou!!! Histoire de ne pas effrayer ou déranger les baleines, nous ne serons jamais plus de quatre personnes en même temps à nous laisser glisser hors du bateau et à approcher de très près, jusqu’à pouvoir les toucher,  ces mammifères, qui font jusqu’à 17 mètres de long.

© Sandrine

Pas farouches, parfois en train d’allaiter leurs baleinaux, les femelles se laissent observer – et nous observent – alors que les mâles, moins costauds que les femelles, chantent souvent ce qu’on pense être un langage de séduction et qui peut durer une bonne demi-heure.

Paradis pour nageurs, plongeurs et amoureux de la nature, Tonga, avec ses 60’000 visiteurs par année, reste une destination à taille humaine, à l’abri du tourisme de masse et des grands hôtels.

Tonga côté face… à l’intervention chinoise

Suite aux investissements catastrophiques de Tāufaʻāhau Tupou IV, dont les projets pour améliorer les recettes comprenaient la vente de passeports, les pavillons de complaisance pour navires cargos, une compagnie aérienne, des facilités d’entreposage de déchets nucléaires et un show à Broadway, les coffres se sont rapidement vidés.

Conséquence: des émeutes en 2006, avec passablement de destruction dans la capitale, Nuku’alofa, suivies d’une demande d’aide financière à la Chine. Résultat des courses, Tonga a une dette de 116 millions envers la Chine, est incapable de la rembourser et, malgré les affirmations chinoises usuelles qu’aucune condition politique n’est rattachée aux aides accordées, le Premier Ministre craint fort la mainmise de Beijing sur certains actifs du Royaume, tels que ports ou aéroports.

Un budget réduit, notamment dans le domaine de l’éducation, n’est pas sans impact sur la population, dont un tiers est âgée de moins de 18 ans. Ainsi, de plus en plus de jeunes gens se voient forcés de quitter l’école avant d’avoir terminé leur scolarité afin de gagner leur vie.

Un gouvernement, dont certains ministres sont soupçonnés de corruption et notamment d’avoir facilité le trafic de drogues, localement en mains chinoises, vient compléter un tableau social peu glorieux. Une véritable épidémie de méthamphétamines, cause d’une recrudescence de la violence, n’est pas sans provoquer de grosses inquiétudes.

Le pays étant très religieux (tout ferme le dimanche et donc impossible de nager avec les baleines de jour-là), l’Eglise Wesleyenne Libre de Tonga, la plus importantes du royaume, s’est attelée à la lourde tâche d’essayer d’enrayer ce phénomène, comme le confirme son Président, le Révérend Finau’Ahio.

Corruption? Injustices sociales? Drogues? De là à boycotter Tonga, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Après tout, s’il fallait boycotter tous les Etats ayant des problèmes similaires, nous ne pourrions même plus visiter notre propre pays…


Prochaines escales:

«Fenua Enata», la Terre des Hommes, appelées «Marquises» par l’Espagnol Alvaro de Mendana en 1595, en l’honneur de l’épouse de son protecteur, le marquis de Canete et les autres archipels de la Polynésie française.

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