«Joyeux anniversaire, Etat d’Israël!»*

Publié le 9 mai 2018

Nous «fêtons» les 70 ans de l’Etat d’Israël. L’occasion de publier un texte qui garde toute son actualité. – © DR

Israël fête ses 70 ans d’existence. Plus fort que jamais, économiquement, militairement. Plus à droite aussi que jamais. La perspective d’un accord de paix plus éloignée que jamais. L’implantation de colonies à Jérusalem-est et en Cisjordanie se poursuit. Les tensions meurtrières se poursuivent à la frontière de Gaza. Comment lire la trajectoire de ce pays avec recul, au-delà des émotions du moment ? Nous publions ici un texte écrit il y a dix ans – qui garde toute son actualité – par Albert de Pury, théologien (il a enseigné l’Ancien Testament à l’Université de Genève). Grand connaisseur de la région, il a séjourné à Jérusalem et à Damas, il connaît l’hébreu et l’arabe. Il suit l’évolution du Moyen-Orient depuis plus d’un demi-siècle avec empathie et profondeur.

* Le texte qui suit «Joyeux 60e anniversaire, Etat d’Israël! ou comment vous préparer un 70e anniversaire moins sinistre…» a été rédigé en avril 2008 pour répondre à la demande d’un petit mensuel issu du protestantisme libéral de Suisse romande. Pour des raisons de place, seule une partie de ce te xte avait pu y être publiée (sous le titre «Cher Etat d’Israël», dans Le Protestant. Mensuel romand, n° 5 – juin 2008, pp. 6-7). Dans la foulée, le texte complet avait été proposé à deux revues de réflexion philosophique et politique mais sans y trouver accueil. C’est donc comme un texte inédit que je le reproduis ici (sans lui avoir apporté le moindre changement).
Albert de Pury


Bon pour la tête vous offre la lecture de cet article,

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1Sur les événements qui ont accompagné la «Guerre d’indépendance» d’Israël, cf. aujourd’hui les ouvrages fondamentaux de Ilan Pappe, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Paris, Fayard, 2008, et de Dominique Vidal, Comment Israël expulsa les Palestiniens (1947-1949), Ivry-sur-Seine, L’Atelier, 2008. Le premier «nouvel historien» israélien à s’être emparé du sujet est Benny Morris, dans son livre The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947-1949, Cambridge, Cambridge University Press, 1987. Ce livre est cependant basé sur une documentation encore très partielle. De plus, Morris est un cas intéressant: sa clairvoyance historique (sur le fait que l’exode palestinien de 1948 a été provoqué par Israël) ne fait pas de lui une «colombe» sur le plan politique. Dans la réédition de son ouvrage (The Birth of the Palestinian Refugee Problem Revisited, Cambridge, 2004), Morris regrette que Ben Gourion n’ait pas «fini le travail»! Cf. aussi David Remnick, Blood and Sand. A revisionist Israeli historian revisits his country’s origins, dans The New Yorker, May 5, 2008, p. 72-77. Les historiens palestiniens ont, eux aussi, fourni des travaux fondamentaux, notamment Walid Khalidi (éd.), All That Remains: The Palestinian Villages Occupied and Depopulated by Israel in 1948, Washington, Institute for Palestine Studies, 1992. Beaucoup de témoignages ont paru dès les années soixante. Malheureusement, les contributions palestiniennes ont été généralement ignorées des Occidentaux parce que tenues d’emblée pour partiales! Sur l’ensemble du contexte historique, (mais sans connaissance encore de la documentation spécifique apportée par Pappe): Henry Laurens, La question de Palestine. Tome troisième. 1947-1967. L’accomplissement des prophéties, Paris, Fayard, 2007.

2 Lorsque la Grande-Bretagne, le 14 mai 1948, mit fin à son mandat, 250’000 Palestiniens avaient déjà été expulsés, et plus de 200 villages avaient été détruits, de nombreux quartiers arabes des villes évacués, sans qu’un soldat de Sa Majesté n’eût bronché.

3 Avi Shlaim, Collusion across the Jordan: King Abdullah, the Zionist Movement and the Partition of Palestine, Oxford, Oxford University Press, 1988.

4 Voir n. 1 ci-dessus.

5 Dominique Vidal, Le péché originel d’Israël. L’expulsion des Palestiniens revisitée par les «nouveaux historiens» israéliens, Paris, Editions de l’Atelier / Editions Ouvrières, 1998.

6 Charles Enderlin, Le rêve brisé. Histoire de l’échec du processus de paix au Proche-Orient 1995-2002, Paris, Fayard, 2002.

7Meron Benvenisti, Sacred Landscape. The Buried History of the Holy Land since 1948, Berkeley / Los Angeles / London, University of California Press, 2000.

8 Cf. René Backmann, Un mur en Palestine, Paris, Fayard, 2006; aussi Sylvain Cypel, Les Emmurés. La société israélienne dans l’impasse, Paris, La Découverte, 2005.

9Régis Debray, Un candide en Terre sainte, Paris, Gallimard, 2008, p. 368-375.

10 Il s’agit notamment du fait que les Israélites ou les Judéens n’ont jamais été le seul peuple à habiter le territoire de la Palestine historique. Cf. entre autres, Albert de Pury, L’argumentaire biblique des annexionnistes israéliens: que répondre?, in Revue d’Etudes palestiniennes, 21, automne 1999, pp. 32- 45.

11 La légende de Jacob est rapportée principalement en Genèse 25-35. Pour un aperçu rapide des questions historiques et critiques liées à cette geste ancestrale, cf. Albert de Pury, Genèse 12-36, in Thomas Römer, Jean-Daniel Macchi et Christophe Nihan (éd.), Introduction à l’Ancien Testament, Le Monde de la Bible 49, Genève, Labor et Fides, 2004, pp. 134-156.

12 Voir aussi Genèse 17,3-8 où le pays de Canaan est promis, très explicitement, à l’ensemble de la descendance pluri-ethnique d’Abraham, donc à Ismaël et Edom non moins qu’à Isaac et Jacob. Genèse 17 représente, à mon avis, un stade plus ancien de la tradition que la version «nationalisée» proposée par Genèse 12,1-3 ou Genèse 15,1-21. A l’époque de la rédaction de ces textes — vraisemblablement le règne de Cyrus (539-529) pour le premier, et le 5e ou le 4e siècle pour les deux autres — la petite province de Yehud (Judée) n’occupait qu’un territoire très restreint: un pourtour de 20 km environ autour de Jérusalem! Comment penser la place des autres nations à l’intérieur du pays de Canaan? C’était là, pour les penseurs du judaïsme naissant, un enjeu majeur et un objet de grandes divergences! Cf. Albert de Pury, Pg as the Absolute Beginning, in T. Römer et K. Schmid (éd.), Les dernières rédactions du Pentateuque, de l’Hexateuque et de l’Ennéateuque, Leuven, Peeters, 2007, pp. 99-128 (voir p. 118-123).

13 Il y a des voix très hostiles à Esaü, surtout dans les textes les plus tardifs. Malachie 2,2-3 met l’oracle suivant dans la bouche de Dieu: «J’ai aimé Jacob, et j’ai haï Esaü!» (repris par Paul en Romains 9,6- 16). Dans les textes plus anciens et probablement préexiliques, c’est Jacob qui est vu sous un jour critique. Ainsi, Jérémie 9,6, dans une diatribe contre Israël, fait dire à Dieu: «Ne vous fiez à aucun “frère”, car tout frère s’entend en mauvais tours!» En hébreu, le choix des mots montre qu’ici le personnage visé est bien Jacob, précisément dans ses démêlés avec Esaü! On retrouve la même sévérité contre Jacob supplantant son frère en Osée 12,4.

14Yeshayahou Leibowitz, Peuple, terre, Etat, Paris, Plon 1995.

15 Fabienne Messica et Tamir Sorek, Refuzniks israéliens. Ces soldats qui refusent de combattre en territoires occupés, Paris, Agnès Viénot, 2003; Ronit Chacham, Rompre les rangs, Paris, Fayard, 2003.

16 De Michel Warschawski, lire son extraordinaire Sur la frontière, Postface inédite, Paris, Hachette Littératures, Pluriel, 2004.

17Avraham Burg, Vaincre Hitler. Pour un judaïsme plus humaniste et universaliste, Paris, Fayard, 2008.

18 Bernard Vincent, Le sentier des larmes. Le grand exil des Indiens Cherokee, Paris, Flammarion, 2002.


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