Fondue des villes et fondue des champs

Publié le 9 décembre 2019
Chaque semaine, un billet d’humeur pour sourire de nos délires à l’ère de l’obsession alimentaire. Anna Décosterd est auteure du blog culinaire My Sweet Mouette et photographe culinaire autodidacte.

Un nouveau délice nous attend en ville de Fribourg: la fondue aux noix de cajou. Non pas une fondue dans laquelle on aurait rajouté des noix de cajou (oui, je sais, une idée bizarre qui m’est venue comme ça), mais un plat dénommé «fondue», à base d’une masse à la noix de cajou, ail et vin blanc.

Le but de l’opération? Proposer une fondue sans «exploiter ou faire souffrir les animaux», selon les tenanciers de Happy Books, le café librairie végane au centre de Fribourg. Nos collègues du Matin (26.11.19) sont allés la déguster et ma foi, il paraît que c’est bon.

Je comprends parfaitement que l’on n’ait pas envie de manger des animaux. Moi-même, je préfèrerais m’imposer un jeûne à base de plantes dépuratives d’au moins 3 jours plutôt que de croquer dans une délicieuse brochette de mygales grillées. Je ne me verrais pas non plus déguster un ragoût de toutou. Je peux même comprendre que l’on se prive de miel pour ne pas piquer son goûter à la reine des abeilles.

La question qui me taraude est un peu autre: pourquoi refuser de faire souffrir une vache en la trayant, mais accepter qu’une ouvrière se brûle les mains en décortiquant les noix de cajou? La demande en noix de cajou sous toutes ses formes explose, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Lait de cajou, beurre de cajou, fondue de cajou… Il y en a pour tous les goûts. Quelque part en Inde, des travailleurs, mais surtout des travailleuses, répondent à notre demande et à notre souci de ne pas faire souffrir les animaux. Voici leurs conditions de travail, documentées par de nombreuses sources.

Les mains noires, brûlées par l’acide qui se dégage des coques de noix de cajou, elles souffrent aussi de brûlures aux yeux et de maladies des articulations, pliées en deux des journées durant dans des usines insalubres. Pour un salaire horaire de allant de 6 à 2,50 euros de l’heure, en fonction de leur «rapidité». On fait quoi? On leur recommande de manger quelques noix? Il paraît que c’est très bon pour la santé…

Nous pouvons, avant de tendre notre main gourmande par-dessus les continents, commencer par consommer ce qui se trouve tout près de nous, dans nos champs. J’essaie de ne pas juger, mais je m’énerve parfois. De plus en plus de paysans suisses se suicident. Et ne gagnent pas lourd, sans même aller jusque-là. Alors, pour moi, fondue au fromage ou fondue au cajou, même combat. Faudrait qu’elles soient locales ou au moins payées correctement, les noix.


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