Julian Assange: le déni de justice a déjà commencé

Publié le 15 octobre 2020

Le verdict est attendu début janvier. – © Flickr

Le procès en extradition de Julian Assange, actuellement en cours à Londres, laisse peu de mystère quant à son issue, en janvier 2021. Si le fondateur de WikiLeaks souhaite éviter d’être jugé aux Etats-Unis, où ses chances d’un procès équitable sont nulles, il semblerait que la justice britannique ne soit pas plus encline à assurer un jugement honnête et impartial au lanceur d’alerte, comme le rapporte une enquête édifiante de «The Intercept».

Où est donc passée la sacro-sainte solidarité journalistique dans l’affaire Assange? Son procès en extradition, débuté il y a un peu plus d’un mois à Londres, n’a pas bénéficié d’une couverture médiatique en concordance avec l’importance des droits et des décrets bafoués dans cette procédure.

Charles Glass, un journaliste du média américain The Intercept, dont Glenn Greenwald (qui a publié les révélations de Snowden) est un des membres fondateurs, a dressé une sorte de bilan afin de démontrer que le procès britannique en extradition d’Assange était à peu près aussi équitable que celui qui l’attend aux Etats-Unis.

Dans l’article, Charles Glass raconte que la première «opération secrète» enregistrée contre Assange a eu lieu le 27 septembre 2010, lorsqu’une valise contenant trois ordinateurs portables, des disques durs et des vêtements a disparu de l’avion qui le transportait de Suède en Allemagne. «Les efforts pour récupérer ses affaires, qui comprenaient des communications privilégiées avec son conseiller juridique, dit-il, ont suscité de vagues excuses de la part de la compagnie aérienne, selon lesquelles elle ne savait rien. Le sort des objets dérobés a été rendu public en 2013, lorsque des informations provenant des ordinateurs portables ont été publiées dans les dossiers d’accusation contre la dénonciatrice de l’armée américaine Chelsea Manning.»

A l’ambassade d’Equateur de Londres, Julian Assange était constamment observé et écouté, y compris lors de ses conversations avec ses avocats et ses médecins.

La NSA et son équivalent britannique, le GCHQ, ont suivi les personnes qui se sont connectées au site web de WikiLeaks. Les institutions financières américaines ont tenté de paralyser financièrement WikiLeaks en refusant aux donateurs l’utilisation des cartes de crédit et de PayPal pour soutenir l’organisation, explique Charles Glass, qui ajoute que l’avocat espagnol d’Assange, Baltasar Garzón, connu pour avoir poursuivi le général chilien Augusto Pinochet, a été suivi et que son ordinateur a été volé dans son bureau à la fin de l’année 2017. Charles Glass lui-même s’est fait dérobé sa machine en 2019, deux jours après sa rencontre avec Assange à l’ambassade et alors qu’il partageait un bureau avec deux designers de Londres, dont les affaires personnels n’avaient apparemment pas suscité l’intérêt des voleurs. «Il est impossible de prouver qui a fait ça, mais il n’est pas impossible de le deviner», écrit Charles Glass.

Justice à deux vitesses

Un élément illustre bien l’illusion de la justice dans ce cas: le choix du juge. La première magistrate affectée au dossier, en 2017, Emma Arbuthnot, a dû se retirer de l’affaire car son mari et son fils avaient des liens avec des personnes citées pour activités criminelles dans les documents publiés par WikiLeaks. Arbuthnot a évoqué une «impression de partialité», mais ne s’est pas formellement récusée, ni n’a-t-elle déclaré de conflit d’intérêt. Par contre, elle a supervisé la conduite des magistrats de rang inférieur, dont Vanessa Baraitser, qui a présidé l’audience d’Assange.

Lorsque les avocats d’Assange ont demandé un délai de préparation supplémentaire à la juge, le 8 septembre, celle-ci a refusé. Alors même que le gouvernement avait eu dix ans pour se préparer, tout en aillant accès à la correspondance des avocats de la défense avec leur client. «Les avocats d’Assange n’ont été autorisés à le voir que rarement et sous observation à la prison de Belmarsh, un établissement de sécurité maximale dans le sud de Londres pour les prisonniers qui « représentent une grave menace pour le public, la police ou la sécurité nationale »», explique le journaliste.

«Elle a également forcé Assange à observer l’audience depuis une cage de verre, généralement réservée aux délinquants violents, au fond de la salle d’audience où il ne pouvait pas s’entretenir avec ses avocats, relate encore Charles Glass. Des problèmes techniques ont interrompu la transmission du son à Assange, ce qui lui a fait manquer une grande partie du témoignage. Lorsque M. Assange s’est adressé à ses avocats de l’autre côté de la salle, l’accusation a pu entendre ce qu’il disait.»

Les dés sont pipés et cette plaisanterie de procès n’a pratiquement aucune chance d’aboutir sur autre chose qu’une extradition d’Assange pour les Etats-Unis. A moins qu’il n’intente à ses jours, comme les trois psychiatres qui l’ont suivi semblent le craindre. Le Dr Michael Kopelman, professeur émérite de psychiatrie au King’s College de Londres, a déclaré à la cour, sur la base de dix-neuf consultations avec M. Assange à Belmarsh: «Je répète encore une fois que je suis aussi certain qu’un psychiatre puisse l’être que, dans l’éventualité d’une extradition imminente, M. Assange trouverait effectivement un moyen de se suicider.» En tout, 117 psychiatres ont signé une lettre ouverte déclarant que Julian Assange ne survivrait pas à un procès et à un emprisonnement aux Etats-Unis.

Le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, a déclaré: «M. Assange a été délibérément exposé, pendant plusieurs années, à des formes persistantes et progressivement graves de peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, dont les effets cumulés ne peuvent être décrits que comme de la torture psychologique».

Mais les aberrations ne s’arrêtent pas là: «Lors de l’audience, l’accusation a d’abord déclaré qu’Assange était accusé, en vertu de la loi américaine sur l’espionnage de 1917, d’avoir publié des secrets d’Etat, explique Charles Glass. Lorsque les témoins de la défense ont montré que les actions d’Assange n’étaient pas différentes de celles de tout autre journaliste rassemblant des sources, les procureurs ont fait marche arrière pour permettre que tout journaliste publiant des documents classifiés soit passible de poursuites. Etant donné qu’Assange a collaboré avec le New York Times, The Guardian, El País et Le Monde, leurs rédacteurs en chef seraient passibles de poursuites.»

«Ce tour de passe-passe reflétait la contradiction entre les prétentions américaines d’appliquer la loi sur l’espionnage à Assange, qui est Australien, pour des actions entreprises en Islande et au Royaume-Uni, tout en lui refusant la protection d’une loi américaine plus fondamentale, le premier amendement de la Constitution avec sa garantie de liberté d’expression et de la presse. L’accusation peut-elle s’en tirer en choisissant quelles lois britanniques et américaines s’appliquent à Assange et lesquelles ne s’appliquent pas? Quelle est la marge de manœuvre du ministère public qu’un tribunal peut avaler sans détruire sa propre légitimité», s’interroge l’enquêteur.

Verdict le 4 janvier 2021

En résumé, l’accusation a eu dix ans de préparation d’avance sur la défense; l’avocat d’Assange, Jennifer Robinson, a été dans l’incapacité de s’entretenir avec lui pendant six mois; l’accusation était en possession de documents confidentiels avocat-client et de transcriptions des conversations d’Assange avec ses avocats, en violation flagrante de la loi.

«L’interdiction de ces châtiments figure à la fois dans le huitième amendement de la Constitution américaine et dans son prédécesseur, la clause dix de la Déclaration des droits de l’Angleterre de 1689, conclut Charles Glass. Cette protection fondamentale s’applique à tous en Grande-Bretagne et en Amérique depuis des siècles. Une fois de plus, cependant, ils peuvent faire une exception pour Assange.»

A noter que des politiciens genevois ont fait des demandes afin qu’un Visa humanitaire soit accordé à Assange. Vu la rapidité du processus politique suisse, il y a fort à parier que, si accord il y a, il arrive trop tard.

A noter également que The Intercept, qui a donc les ressources nécessaires à suivre ce procès-spectacle aux règles adaptées à son protagoniste, s’oppose à ce que ses articles soient repris et repostés tels quels par d’autres médias, rendant difficile la circulation de l’information.

Décidément, la solidarité journalistique, quelle qu’elle soit, est totalement absente de cette triste histoire.


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