Derrière l’Eldorado du Guyana se cache la Banque mondiale

Publié le 24 mars 2020
Que se passe-t-il lorsque l'un des pays les plus petits et les plus pauvres d'Amérique du Sud devienne en un clin d’œil l'un des pays les plus riches du monde? Nous le verrons au cours de ces prochains mois, lorsque l'économie d'une nation de près de 800'000 habitants croîtra à un rythme spectaculaire de 86%, soit 14 fois plus vite que l'économie chinoise. Mais, derrière cette croissance exceptionnelle se dissimule la cupidité internationale, rapporte le journal britannique The Guardian.

La République coopérative du Guyana est un petit État d’à peine 800’000 habitants, presque ignoré de la plupart de ses voisins. Il est le seul État du Commonwealth situé en Amérique du Sud et est quasiment inconnu sur les autres continents. Le Guyana a des frontières communes avec le Brésil, le Venezuela et le Suriname et est bordé par l’océan Atlantique au nord.

Son économie jusqu’à il y a peu de temps n’était pas très prospère, car basée sur la culture du riz, de la canne à sucre, la pêche crevettière, l’extraction des diamants, de l’or et de la bauxite (utilisée comme matière première pour obtenir de l’aluminium). Sa capitale, Georgetown, abrite des activités administratives et commerciales, ainsi qu’une part importante des échanges économiques. C’est par le port de Georgetown, qui fait face à l’océan Atlantique, que s’effectue la plupart des importations et des exportations du pays. Mais c’est aussi un point de transit idéal pour les trafiquants de drogue et d’armes. 

A l’ouest de la capitale, il y a l’Esequibo, un territoire sur lequel le Venezuela maintient une revendication historique résultant des accords coloniaux des temps passés auxquels s’ajoutent maintenant ponctuellement les intérêts des multinationales de différentes parties du monde.

Car en mai 2015, ExxonMobil (société née en 1999 de la fusion des deux compagnies pétrolières américaines Exxon et Mobil, toutes deux concurrentes de Standard Oil, le colosse de John D. Rockefeller), au nom du gouvernement guyanais, a fait une annonce qui allait changer le statut économique de ce pays, pour le meilleur ou pour le pire. Le géant pétrolier américain a découvert une importante réserve de pétrole dans les eaux proches du territoire en litige, à 193 kilomètres de la côte et à une profondeur de 1 900 mètres. Avec la découverte de nouveaux puits dans les années qui ont suivi, il s’est avéré que le brut était de bonne qualité et abondant. On estime que les champs pétrolifères ont une contenance quelque 5,5 milliards de barils, une quantité énorme qui pourrait faire du Guyana le pays le plus riche du monde. Et entre le moment où cet article a été publié dans le Guardian et aujourd’hui, ces attentes ont probablement augmenté.

Mais la découverte de pétrole dans d’autres pays en développement (au Venezuela par exemple) a exacerbé la corruption, et les nouvelles richesses générées par l’exploitation de l’or noir ont été gaspillées ou ont profité à quelques uns seulement.

Le Guyana peut-il garantir que les avantages toucheront toute sa population?

Ce n’est certainement pas le début d’un nouvel Eldorado que vivent les habitants. La crise politique qui a émergé ces derniers mois est considérée par certains comme un signe précoce des effets de cette nouvelle richesse inattendue.

Après avoir échoué à faire adopter une motion de confiance en décembre 2018, le président David Granger a appelé à de nouvelles élections et, après avoir surmonté une forte contestation – car Granger a sauté l’échéance pour convoquer les élections, le 2 mars – la population a finalement voté. Cependant, l’élection de Granger a suscité des inquiétudes au niveau international en raison d’allégations de fraude. 

Il faut dire que sur le plan politique, le pays est divisé entre les descendants africains, qui ont tendance à soutenir l’APNU (Asociación para la Unidad Nacional para el Cambio) dirigée par David Granger, et les communautés indigènes qui soutiennent généralement le PPP/C (Partido Cívico Progresista del Pueblo). Dans le passé, les tensions raciales ont conduit à des émeutes et des affrontements, notamment en période électorale.

Afin d’assurer la sécurité de la population, la Communauté des Caraïbes (Caricom) avait envoyé une équipe d’observateurs lors des élections du 14 mars à la demande du président, David Granger, et du chef de l’opposition, M. Bharrat Jagdeo. Ces derniers ont accepté de procéder à un recomptage des voix dans les dix circonscriptions électorales où le processus était terminé. Cependant, le 17 mars, un tribunal a rendu une ordonnance empêchant la Commission électorale du Guyana (GECOM) de les recompter.

Le Guyana reçoit déjà les premières recettes économiques du pétrole et plusieurs accords ont déjà été conclus. 

Comme celui, déjà en place, avec la Banque mondiale. Selon les déclarations de l’organisation de défense de l’environnement et des droits de l’homme Urgewald, publiées par The Guardian, la Banque mondiale va payer pour que les lois pétrolières du Guyana soient réécrites par un cabinet d’avocats qui a déjà travaillé pour ExxonMobil. 

Mais la Banque mondiale ne s’était-elle pas engagée à ne pas financer directement l’extraction des combustibles fossiles?

Il y a trois ans, la Banque mondiale a promis qu’à quelques exceptions près, elle n’accorderait plus d’aide financière aux projets de centrales électriques au charbon après 2019. Alors que le rapport World Bank Group Financial Flows undermine the Paris Climate Agreement: The WBH contributes to higher profit margins for oil, gas and coal révèle que «malgré les engagements des États en matière de climat, la Banque mondiale investit dans de nombreux projets qui les contredisent.»

La Banque mondiale a examiné le contrat avec ExxonMobil, la société qui dirige l’extraction des réserves pétrolifères au Guyana, et elle n’a trouvé aucun problème dans le processus. 

Selon l’organisation Urgewald, la Banque mondiale a fourni au Guyana plus de 50 millions de dollars d’aide publique, en grande partie pour faciliter l’exploitation du pétrole.

La Banque mondiale assure qu’elle travaille à la «bonne gouvernance, en révisant le cadre juridique du Guyana pour le développement pétrolier», a déclaré Heike Mainhardt, conseiller principal des institutions financières multilatérales à Urgewald. «Cependant, le gouvernement de David Granger a engagé le cabinet d’avocats dont un de ses principaux clients est ExxonMobil, la société qui dirige le développement des champs pétrolifères au Guyana».

Pour l’organisation qui surveille le commerce des matières premières et l’exploitation des ressources naturelles, Global Witness, la relation entre Raphael Trotman, le ministre des ressources naturelles du Guyana, et Nigel Hughes, l’un des avocats d’ExxonMobil, devrait être examinée. Déterminer l’existence ou l’étendue de tout conflit d’intérêts.

Trotman et Hughes dirigent le parti politique local Alianza para el Cambio, qui est présidé par l’actuel président David Granger.

Jusqu’à présent, il n’y a pas de retour en arrière: ce sera le pays le plus riche oui, mais il reste à voir qui en bénéficiera réellement. 


L’article original est par ici.

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