Corée du Sud, le pays qui n’aime plus

Publié le 18 mars 2020

Un mariage (phénomène de plus en plus rare) en Corée du Sud. – © Rory O’Donnell – CC via Flickr

Des clichés tenaces, mais aussi de réelles inégalités entre hommes et femmes, empoisonnent la société sud-coréenne. A tel point que les Coréens et les Coréennes se regardent en chiens de faïence, et ne se marient plus: le pays a le taux de natalité le plus faible du monde. Explications.

L’histoire que le journaliste Felix Lill raconte dans la Neue Zürcher Zeitung est celle de Seok Jae Yeon, une jeune sud-coréenne de 30 ans, employée dans un centre d’appels. C’est aussi, sans céder aux sirènes de la généralisation, l’histoire de la plupart de ses compatriotes féminines. 

«Le désir des hommes m’a quittée» avoue-t-elle. Seok Jae Yeon est célibataire et a l’intention de le rester. Elle passe, aux yeux de ses collègues et de son patron, pour une «féministe», un qualificatif très négatif en Corée du Sud. 

La «guerre des genres» qui sévit depuis quelques temps dans le pays, au taux de fécondité le plus bas du monde (0,98 enfant par femme), a plusieurs causes. Cette expression, accompagnée d’affrontements verbaux (parfois violents) entre hommes et femmes, a émergé sur les réseaux sociaux à l’occasion du mouvement #metoo en 2017. Cela répond à la situation particulière de la Corée du Sud, le pays industrialisé qui discrimine le plus les femmes dans le monde du travail. Un rapport du World Economic Forum sur l’égalité des sexes en matière de travail, d’accès à la santé et à l’éducation et de représentation politique, classe la Corée du Sud 108ème sur 152 pays. Quant à l’inégalité salariale, c’est une réalité parfaitement intégrée et acceptée – jusque là. Selon Young Na, la présidente de Share, une association qui lutte contre les inégalités, les Coréennes gagnent moins que leurs collègues masculins pour une raison simple: une femme n’a pas à être indépendante, elle doit forcément envisager de se marier avec un homme, qui gagne mieux sa vie. Seulement, l’instabilité du marché du travail met de nombreuses femmes dans des situations précaires, et même les hommes avec un revenu stable et confortable sont de plus en plus rares. Un tiers des actifs n’a pas d’emploi permanent. 

Bref, résume Young Na, la Corée du Sud est «un pays qui n’aime plus». En chiffres, ce sont seulement 4 jeunes adultes sur 10 qui déclarent avoir une relation amoureuse, 75% des 25-29 ans sont célibataires et plus de la moitié des 30-34 ans. 

Mais plus encore qu’en données statistiques, c’est dans le discours et les représentations que se fait jour cette «guerre des sexes». Les jeunes femmes interrogées par Felix Lill rapportent toutes des propos similaires: les hommes n’aiment pas les «femmes confiantes» (comprendre: indépendantes ou souhaitant le devenir, ayant leurs propres opinions et refusant de rester au foyer). Compte tenu de l’âpreté du marché du travail, les femmes tenant des discours féministes sont considérées par ces hommes comme des «incendiaires», semant le désordre dans la société. «S’ils ne veulent pas des femmes d’aujourd’hui, ils resteront célibataires!», répond Seok Jae Yeon.  

Et certains joignent l’acte à la parole. En 2017, un homme affirmant «ne pas aimer les femmes» a poignardé une inconnue dans des toilettes publiques. De nombreuses victimes de harcèlement sexuel, d’agressions ou de viols se sont depuis manifestées, parmi elles des sportives de haut niveau, comme la championne de patinage de vitesse Shim Suk Hee.  

Contrairement à la plupart des pays dans lesquels le mouvement #metoo a amorcé une esquisse de changement, au moins dans l’écoute de la parole des femmes victimes de violences, la société sud-coréenne campe sur ses antagonismes. L’incapacité, pour les hommes et les femmes d’une même génération, de se comprendre et de cohabiter, a des conséquences démographiques bien réelles. D’ici à 2027, la population est amenée à diminuer. 

D’autant plus que Seok Jae Yeon, comme beaucoup de ses compatriotes, n’aspire plus qu’à l’émigration, de préférence vers l’Europe. 

Sous nos latitudes, elle espère trouver, grâce à ses diplômes universitaires, un emploi stable et justement rémunéré, mais surtout, une société moins patriarcale, bien plus égalitaire et sûre pour les femmes – et pourquoi pas un mari. 

Le virus du patriarcat toucherait donc le monde à des degrés bien divers. Ce que certaines de nos féministes nous dépeignent comme un enfer sexiste et machiste a des airs d’Eldorado vu de l’autre côté de la planète. Est-ce vraiment une surprise?


L’article original, en allemand, est à lire ici

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Culture

La France et ses jeunes: je t’aime… moi non plus

Le désir d’expatriation des jeunes Français atteint un niveau record, révélant un malaise profond. Entre désenchantement politique, difficultés économiques et quête de sens, cette génération se détourne d’un modèle national qui ne la représente plus. Chronique d’un désamour générationnel qui sent le camembert rassis et la révolution en stories.

Sarah Martin
Culture

Stands de spritz et pasta instagrammable: l’Italie menacée de «foodification»

L’explosion du tourisme gourmand dans la Péninsule finira-t-elle par la transformer en un vaste «pastaland», dispensateur d’une «cucina» de pacotille? La question fait la une du «New York Times». Le débat le plus vif porte sur l’envahissement des trottoirs et des places par les terrasses de bistrots. Mais il n’y (...)

Anna Lietti
Politique

Les penchants suicidaires de l’Europe

Si l’escalade des sanctions contre la Russie affaiblit moins celle-ci que prévu, elle impacte les Européens. Des dégâts rarement évoqués. Quant à la course aux armements, elle est non seulement improductive – sauf pour les lobbies du secteur – mais elle se fait au détriment des citoyens. Dans d’autres domaines (...)

Jacques Pilet
Culture

Un selfie dans l’ascenseur

Notre obsession du selfie n’est pas purement narcissique, il s’agit aussi de documenter notre présent par le biais d’un langage devenu universel. Quant aux ascenseurs, ce sont des confessionnaux où, seuls, nous faisons face à nous-mêmes.

David Laufer
Politique

La stratégie de Netanyahu accélère le déclin démocratique d’Israël

Le quotidien israélien «Haaretz» explique comment l’ancien Premier ministre Naftali Bennett met en garde les forces de sécurité et les fonctionnaires contre une possible manipulation du calendrier électoral et la mainmise de Netanyahu sur l’appareil sécuritaire.

Patrick Morier-Genoud
Politique

Netanyahu veut faire d’Israël une «super Sparte»

Nos confrères du quotidien israélien «Haaretz» relatent un discours du Premier ministre Benjamin Netanyahu qui évoque «l’isolement croissant» d’Israël et son besoin d’autosuffisance, notamment en matière d’armement. Dans un éditorial, le même quotidien analyse ce projet jugé dangereux et autodestructeur.

Simon Murat
Politique

Israël ne laisse pas la Croix-Rouge visiter ses prisonniers palestiniens

Alors que, selon nos confrères du quotidien israélien «Haaretz», les conditions de détention des Palestiniens se sont aggravées, le gouvernement de Benjamin Netanyahou refuse qu’ils puissent recevoir la visite de délégués de l’organisation humanitaire internationale.

Patrick Morier-Genoud
Politique

Les croisés suisses de Netanyahou

Le journal en ligne «Republik» accuse Ignazio Cassis et révèle les méthodes des chrétiens évangéliques suisses qui défendent ardemment le gouvernement israélien.

Bon pour la tête
PolitiqueAccès libre

Extrême droite et antiféminisme: pourquoi cette alliance séduit tant de jeunes hommes

L’antiféminisme est l’un des principaux axes de mobilisation politique de l’extrême droite et il séduit de nombreux jeunes hommes. Il s’exprime notamment sur les réseaux sociaux, à travers des discours masculinistes qui promettent de rétablir un ordre supposé naturel entre hommes et femmes.

Bon pour la tête
PolitiqueAccès libre

La plus ancienne communauté chrétienne de Palestine menacée par des colons israéliens

«Le Courrier des Stratèges» lance l’alarme ignorée ailleurs. Nous publions ici à notre tour l’appel des prêtres des trois églises de Taybeh, dernière ville entièrement chrétienne de Cisjordanie.

Bon pour la tête
Sciences & Technologies

Intelligence artificielle: les non-dits

On nous annonce une révolution avec l’arrivée invasive et fulgurante de l’IA dans nos vies, nos modes d’apprentissage et de production et, surtout, la mise à disposition de l’information immédiate et «gratuite» sans effort, objet central ici. Or nous ne mesurons aucunement ce que cela signifie vraiment.

Jamal Reddani
Culture

Transidentité: tapage exagéré?

Selon le site d’information lausannois «L’impertinent», l’intérêt démesuré des médias pour la transidentité relèverait d’une stratégie.

Jacques Pilet
Sciences & TechnologiesAccès libre

Combien de temps l’humanité survivrait-elle si l’on arrêtait de faire des enfants?

Suffit-il de calculer l’espérance de vie maximale d’un humain pour deviner combien de temps mettrait l’humanité à disparaître si l’on arrêtait de se reproduire? Pas si simple répond l’anthropologue américain Michael A. Little.

Bon pour la tête
Sciences & Technologies

Ces bactéries qui survivent dans l’espace

Une équipe de chercheurs chinois a détecté un micro-organisme d’une nouvelle espèce sur les surfaces internes du matériel de la station spatiale Tiangong, expliquent nos confrères de «L’Espresso». Il s’agit d’une bactérie qui résiste à la microgravité et aux radiations spatiales.

Simon Murat
Politique

«La nouvelle unité du peuple israélien se fonde sur l’addiction à la haine et la soif de sang»

De nombreux Israéliens sont indifférents au sort des Palestiniens, voire se réjouissent de leur destruction. Pourtant, des voix indignées s’élèvent avec courage. Comme celle d’Orit Kamir, ancienne professeure de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem et activiste féministe impliquée dans les droits humains, dont nous publions ici l’article paru en (...)

Bon pour la tête
Politique

Ces Allemands qui veulent quitter leur pays

La «Frankfurter Allgemeine Zeitung» met le doigt sur un sujet sensible. Nombre d’Allemands émigrent ou rêvent de le faire. Mais pourquoi?

Jacques Pilet