Marc de Bernardis ou le plaisir louche de la «belle peinture»

Publié le 15 novembre 2019
Deux expositions et une monographie mettent à l’honneur cet artiste vaudois puissant qui peint le trouble du présent avec le pinceau des maîtres anciens. Déclaration d’admiration d’une amateure et méditation sur notre rapport tourmenté à la figuration et à bonne facture. Mais pourquoi n'apprend-on plus la peinture et le dessin dans les écoles d'art?

La guipure de Flandre et les «stripes» Adidas. La collerette XVIIème et la fermeture éclair. Le jean et l’armure. Le chapeau à pierres plutôt qu’à fleurs, le turban/bougeoir… C’est souvent dans un détail de la tenue vestimentaire que se glisse, dans les tableaux de Marc de Bernardis, l’incongruité, l’anachronisme, qui créent le sentiment d’étrangeté.
Mes préférés sont ceux où on ne voit pas tout de suite où est le «bug». On se dit: c’est bizarre, tout a l’air tranquille, pourquoi c’est bizarre? Avant de savourer en toute connaissance de cause le cocktail doux-amer servi par l’artiste: la caresse voluptueuse d’une peinture à l’huile comme on n’en fait plus, pour dire le trouble de l’identité, le vacillement du temps, le mal-être au monde dans le vibrato d’une sensibilité très contemporaine. C’est puissant, c’est ensorcelant, c’est inoubliable, d’autant plus que - généreuse élégance- le sourire et l’auto-dérision ne sont jamais loin.
Si vous ne connaissez pas ce grand artiste vaudois, c’est le moment de le découvrir car son actualité est foisonnante: deux expositions proposent ses œuvres, à Lausanne et (ce week-end encore) à Montreux tandis que sort une monographie qui lui est consacrée1.

Marc de Bernardis, Les jumelles, 165x115, 2016.
Je ne suis pas critique d’art, je vais donc me borner à expliquer pourquoi j’aime Marc de Bernardis et pourquoi vous avez de bonnes chances de l’aimer aussi. Il y a d’abord cette «inquiétante étrangeté» qui émane de ses toiles (elle est finement commentée dans la monographie): d’un tableau à l’autre, elle suscite tantôt un sourire charmé, tantôt un malaise qui vous étreint durablement. Vous êtes troublé, dérangé. Mais par quoi? Pas par une installation vidéo ou un dispositif über-discursif intentionnellement indigestes comme l’art contempo...

Ce contenu est réservé aux abonnés

En vous abonnant, vous soutenez un média indépendant, sans publicité ni sponsor, qui refuse les récits simplistes et les oppositions binaires.

Vous accédez à du contenu exclusif :

  • Articles hebdomadaires pour décrypter l’actualité autrement

  • Masterclass approfondies avec des intervenants de haut niveau

  • Conférences en ligne thématiques, en direct ou en replay

  • Séances de questions-réponses avec les invités de nos entretiens

  • Et bien plus encore… 

Déjà abonné ? Se connecter

S’abonner
Notification pour
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

À lire aussi

Des Nymphéas au smartphone

Premier film de Cédric Klapisch présenté à Cannes en 35 ans de carrière, «La Venue de l’avenir» ne marque pas tant un saut qualitatif que la somme d’une œuvre à la fois populaire et exigeante. En faisant dialoguer deux époques, la nôtre et la fin du 19e siècle des impressionnistes, (...)

Norbert Creutz

Le chant du monde selon Hodler et la griffe de Vallotton

A voir absolument ces jours en nos régions: deux expositions denses de contenu et de haute volée qualitative, consacrées respectivement à Ferdinand Hodler et quelques «proches», et à Felix Vallotton graveur sur bois. Où la pure peinture et le génie plastique subliment, pour le meilleur, toute forme d’idéologie esthétique ou (...)

Jean-Louis Kuffer

L’art jubilatoire et jaculatoire d’Armand Avril

A 99 ans, l’artiste lyonnais expose ses nouvelles créations à la galerie RichterBuxtorf de Lausanne. Des chats et des chattes, et aussi des palmiers à la forme sans équivoque. Diverses techniques sont utilisées – peinture, collages, encre… – et les supports sont d’anciens sacs de farine ou des pages de (...)

Patrick Morier-Genoud
Accès libre

Hodler, la locomotive suisse de la modernité face à ses émules

Pour montrer la forte influence de Ferdinand Hodler sur plusieurs générations de peintres suisses, le Musée d’art de Pully et le Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel proposent un parcours singulier. Les thèmes iconiques du maître s’y déclinent à travers une cinquantaine d’artistes suisses de la première moitié du 20e (...)

Michèle Laird
Accès libre

L’art au service de la paix: la collection Ghez à l’Hermitage

La Fondation de l’Hermitage accueille une rareté dans le monde des collections privées: les trésors du Petit Palais de Genève proviennent de la collection d’Oscar Ghez, un collectionneur sensible au destin de l’humanité et aux artistes femmes. Privilégiant l’art français de la fin du 19e et du début du 20e, (...)

Michèle Laird

D’Edouard Manet à Robert Ryman et vice-versa

Remarquable et passionnant, «Atopiques. De Manet à Ryman», de Jean Clay, qui vient de paraître à L’Atelier contemporain, nous fait revivre le rapport de la génération mai 68 avec les pratiques artistiques les plus avancées de l’époque.

Yves Tenret

La sélection, clé de voûte de l’art

Une visite à Gand et ses merveilles de la Renaissance offre une occasion de se demander comment on sélectionnait les artistes alors, et comment on s’y prend aujourd’hui. Et pourquoi cette sélection détermine en grande partie notre perception de la scène artistique.

David Laufer

L’enfance célébrée

Si la Fondation Gianadda nous a habitués depuis plus de quarante ans à des expositions magnifiques, celle-ci est exceptionnelle. «Anker et l’enfance» met en scène les œuvres majeures du peintre suisse à travers un hymne aux enfants. Bel hommage à Léonard Gianadda, décédé en fin d’année dernière, qui a préservé (...)

Loris Salvatore Musumeci

Les connexions nazies des musées de Zagreb et de Belgrade: un héritage empoisonné

C’est l’histoire de la provenance plus que problématique de certains des principaux joyaux artistiques du musée Mimara de Zagreb et du Musée national de Belgrade. Certaines des œuvres les plus précieuses et importantes sont en effet entachées de connexions nazies et de pillages, ainsi que d’une ignorance délibérée des autorités.

David Laufer

Oskar Kokoschka: apologie du dessin

Aglaja Kempf, conservatrice de la Fondation Oskar Kokoschka, présente dans un splendide nouvel ouvrage publié ces jours-ci aux Cahiers dessinés,150 dessins du maitre. Tous sont issus de la collection de la Fondation, riche de 2’300 œuvres aux techniques variées.

Yves Tenret
Accès libre

Nicolas de Staël, portrait intime par sa petite-fille

Dans un entretien exclusif, Marie du Bouchet livre un portrait inédit et intime de son grand-père. A l’occasion de l’exposition de Nicolas de Staël à la Fondation de l’Hermitage, sa petite-fille évoque l’élan créatif singulier qui a fait de lui un artiste majeur du XXème siècle, malgré sa disparition en (...)

Michèle Laird
Accès libre

Nicolas de Staël, la lumière vorace

Le mythe a fait disparaître l’homme. Dans une exposition tout en finesse, la Fondation de l’Hermitage à Lausanne offre un regard nouveau sur Nicolas de Staël, l’artiste majeur du XXème siècle le moins bien compris. Traversées de lumière naturelle dans un cadre intimiste, ses œuvres renaissent et nous rapprochent d’un (...)

Michèle Laird

Sava Shoumanovitch, la vertu de l’obsession

Cela fait plus de vingt ans maintenant que le nom de Sava Shoumanovitch (1896-1942) m’est connu. Je vois ses tableaux aux cimaises de tous les musées de Serbie. Et aucun autre peintre serbe ne m’a jamais moins ému que Shoumanovitch. Ses nus rose crustacé, ses paysages aplatis et sa débauche (...)

David Laufer
Accès libre

Les Pajak père et fils unis par leurs ardentes passions communes

Une exposition de toute beauté, qui marquera pour beaucoup la découverte de la peinture de Jacques Pajak (1930-1965), présentée sous ses aspects très contrastés et accompagnée d’un choix de dessins à l’encre de Chine non moins représentatif de son fils Frédéric, est à voir absolument (jusqu’au 7 avril) à l’Estrée (...)

Jean-Louis Kuffer

Presque tout dans presque rien: «Tantra song»

Choisi et présenté par l’homme de lettres Franck André Jamme, le passionnant et très surprenant «Tantra song», publié par les éditions L’Atelier contemporain, accueille des œuvres d’artistes tantristes datant de la fin du XXème et du début du XXIème siècle, peintures qui rappellent de façon époustouflante certaines œuvres de El (...)

Yves Tenret

Mark Rothko, la peinture-miroir

La Fondation Louis Vuitton présente une rétrospective Rothko de plus de cent œuvres, réparties chronologiquement dans tous les espaces du lieu. L’occasion de revenir sur la vie et la carrière d’un artiste, au-delà des tableaux abstraits géométriques, bien connus mais parfois trop survolés. Rothko, par la couleur et la géométrie, (...)

Marie Céhère