«Les Finlandais ne cautionnent pas le baratin»

Publié le 29 octobre 2018
Contrairement à l’anglais, entre autres, le finnois n’est pas une langue qui se prête au bavardage. Les Finlandais ont tendance à aller droit au but et ne s’embarrassent pas des conversations qu’ils jugent inutiles, relate un article de la BBC. A moins que ce ne soit une question de tolérance au baratin…

Dans une enquête publiée récemment via la rubrique «voyages» du site de la BBC, une particularité de la culture finlandaise est mise en lumière: les habitants du pays des milles lacs penseraient qu’il n’est pas la peine de discuter si ce n’est pas pour aborder des sujets intéressants. «Les Finlandais ne cautionnent pas le baratin», résume l’auteure, Laura Studarus. Lors d’une visite à Helsinki, cette dernière a pu s’apercevoir de la sobriété des interactions, y compris dans les commerces et les cafés. Selon elle, pas question pour ces nordiques de se comporter d’une façon qui les conduirait à interagir avec leur entourage direct. Une plaisanterie récurrente en Finlande évoque un arrêt de bus désert mais entouré de voyageurs à distance respectable les uns des autres. Le coureur automobile finlandais Kimi Raïkkönen est également réputé pour être avare de paroles.

© Finnish crash course

Tina Latvala, qui a officié en tant que professeure d’anglais à Sodankylä, une commune de Laponie, explique notamment que l’introduction aux bavardages socialement admis lors d’une interaction entre deux inconnus était un des exercices les plus compliqués pour ses jeunes élèves: «Nous nous entraînions à papoter avec d’autres clients dans un café ou avec des étrangers à un arrêt de bus. Les sujets les plus communément abordés dans ce genre de cas étaient écris au tableau, afin d’éviter aux élèves d’avoir à réfléchir trop longtemps. Nous nous sommes creusé la tête tous ensemble pour les trouver. C’était un exercice particulièrement difficile pour eux.»

Tentatives d’explications

Il y a plus d’hypothèses que de réponses pour expliquer cette tendance culturelle en Finlande, explique Laura Studarus. Certains pensent que ce côté direct a quelque chose à voir avec la complexité du finnois, ainsi qu’avec l’éloignement géographique relativement important entre les différentes villes. «Lorsque tu as dû voyager un certain temps pour voir quelqu’un, pourquoi perdre du temps?», synthétise Tina Latvala.

De son côté, le professeur Anna Vatanen, chercheuse à l’Université de Oulu et auteure de l’étude Défaillances d’interaction et stéréotypes du silence finnois, explique: «Je ne pense pas que cela ait quelque chose à voir avec la structure du langage, mais plutôt avec la manière dont les gens l’utilisent, explique-t-elle. Par exemple, la fameuse phrase «how are you?» («comment ça va?»), qui introduit pratiquement toutes les conversations en anglais. Dans les pays anglophones, il s’agit plus d’une marque de politesse que d’une véritable question. Au contraire, sa traduction finnoise (mitä kuuluu?) requiert une réponse franche.»

Pour Karoliina Korhonen, auteur de Finnish Nightmares, les interactions avec des inconnus sont une source de stress pour les Finlandais: «J’aime à penser qu’ils accordent de la valeur à l’espace personnel, avance-t-elle. Si vous ne connaissez pas quelqu’un, vous ne voulez pas le déranger. Peut-être qu’il souhaite être laissé en paix. Si vous constatez au contraire qu’il est ouvert à la conversation et que vous l’êtes aussi, quelque chose peut se produire. Mais la plupart du temps les gens sont polis et gardent leurs distances.»

Mais cette retenue typiquement finlandaise finirait-elle par perdre du terrain? Jussi Salonen, responsable de la marque de chocolats Goodio, a vécu quelques années à Los Angeles, où il a découvert une culture plus tournée vers l’autre qu’il aurait bien ramenée au pays: «Quand je suis rentré en Finlande, j’ai failli m’offusquer lorsqu’on m’a simplement demandé ce que je voulais dans un café, sans me saluer ni me demander quoi que ce soit d’autre. Et puis je me suis rappelé qu’il s’agissait de mon pays, que c’était tout simplement comme ça. C’était marrant de s’apercevoir de la différence entre ici et là-bas. Je pense qu’un petit peu de communication ou de bavardage ne peut pas faire de mal», conclut-il.


Lire l’article original, en anglais, sur le site de la BBC.

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