Le prince héritier aurait souhaité passer un marché avec Jamal Khashoggi

Publié le 20 octobre 2018

Les soutiens du journaliste disparu crient justice. – © Facebook / Justice for Jamal

Depuis le mardi 2 octobre, jour de la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi à Istanbul, l’affaire fait grand bruit à l’international. Le gouvernement saoudien est accusé de s’être débarrassé de l’éditorialiste en exil, dont les critiques acerbes à l’encontre de son pays d’origine et de son prince héritier n’ont de toute évidence pas plu à tout le monde. Les journalistes du quotidien turc «Yeni Safak», duquel est en partie tiré cet article, affirment désormais être entrés en possession de vidéos et d’enregistrements prouvant la torture et l’assassinat de Khashoggi par les forces saoudiennes. Samedi matin, l'Arabie saoudite a reconnu que le journaliste avait bien été tué au consulat d'Istanbul.

Réactualisation: Samedi matin, l’Arabie saoudite a reconnu que Jamal Khashoggi avait bien été tué à l’intérieur du consulat saoudien, à Istanbul, à la suite d’une dispute qui aurait mal tourné. «Les discussions qui ont eu lieu entre lui et les personnes qui l’ont reçu au consulat saoudien à Istanbul ont débouché sur une bagarre et sur une rixe à coups de poing avec le citoyen Jamal Khashoggi, ce qui a conduit à sa mort, que son âme repose en paix», a déclaré le procureur général saoudien dans un communiqué.

Cette version est accueillie avec scepticisme d’un bout à l’autre de la planète, sauf aux Etats-Unis, où Donald Trump préfère «attendre les résultats de l’enquête» pour mettre la position saoudienne en doute. Bien que les soupçons soient tournés jusqu’ici vers le prince héritier, Mohammed ben Salman («MBS»).

Dans un entretien accordé au Figaro, la journaliste Christine Ockrent, qui vient de publier un livre sur MBS, évoque le poids politique sous-estimé de Jamal Khashoggi. Selon elle, le prince saoudien aurait proposé un marché au journaliste. Son retour au pays, contre protection et prospérité. Ce que Jamal Khashoggi aurait refusé…

Le prince héritier lors de la cérémonie d’ouverture du la Coupe du monde 2018. © DR

«Depuis que le roi Salman, 83 ans, a cassé, au profit de son fils préféré, explique Christine Ockrent, le système adelphique qui, jusqu’ici, transmettait le trône de frère en frère (et donc de vieillard en vieillard), MBS a concentré et personnalisé une forme de pouvoir absolu, jamais vu jusqu’ici. À peine intronisé ministre de la Défense en 2016, il lance une guerre sanglante au Yémen.»

Pour la journaliste et écrivaine, les détails sanglants fournis aux médias n’ont pas encore été prouvés, tout comme les raisons du meurtre de Khashoggi: «son rôle dans les milieux journalistiques anglo-saxons ne saurait justifier une exécution aussi barbare, commente-t-elle. Jusqu’à présent, dans cette affaire, on a sous-estimé la dimension politique du personnage de Khashoggi, qui a longtemps travaillé au cœur même du système saoudien, qui a été un ami et un collaborateur du cousin de MBS, le prince Turki al-Faysal, lorsque ce dernier était le tout-puissant patron des services secrets saoudiens, avant de devenir ambassadeur à Londres, puis à Washington. Turki avait présenté Khashoggi à son protégé Oussama Ben Laden, au début des années 1980. Khashoggi avait interviewé, en Afghanistan, le fondateur d’al-Qaida. Mais, après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, Khashoggi dénoncera «le tort considérable» infligé par Ben Laden à la cause islamiste.»


Publication du 17 octobre: La royauté serait-elle directement liée à la disparition brutale du journaliste antigouvernemental Jamal Khashoggi, dont personne n’a plus entendu parler depuis sa visite au consulat saoudien d’Istanbul, le 2 octobre? Jusqu’ici, l’Arabie saoudite a maintenu ne pas savoir ce qui était arrivé à l’éditorialiste, prétendument sorti du consulat bien vivant après sa visite, même si les vidéos de surveillance éteintes à ce moment-là ne peuvent pas le prouver. Pratique. Cependant, face aux enquêtes des journalistes internationaux qui ont mis la main sur des preuves irréfutables telles que des enregistrements, mais également des informations de vol, ainsi que des listes de noms, le gouvernement saoudien songerait à changer de version. Malgré le soutien apparent des Etats-Unis, par le biais de Donald Trump.

Selon un diplomate proche de l’affaire qui s’est exprimé dans le Washington Post, sous couvert d’anonymat, le gouvernement de Riyad s’apprêterait à reconnaître la mort de Jamal Khashoggi, en la mettant sur le dos d’un interrogatoire qui aurait mal tourné. L’unique but serait désormais de protéger et de laver le roi Salman de tout soupçon, ainsi que son fils, le prince héritier Mohammed ben Salman (surnommé «MBS»).

Car les enregistrements obtenus par le journal turc Yeni Safak et le site Middle East Eye sont particulièrement violents. On pourrait y entendre le consul saoudien, Mohammad al-Otaibi, ordonner à des hommes de «faire ça dehors» sous peine de lui créer «des ennuis». Jamal Khashoggi aurait été torturé, on lui aurait coupé des doigts et on l’aurait achevé en le décapitant, avant de le démembrer en sept minutes.

Jamal Khashoggi était exilé aux Etats-Unis depuis 2017. © Flickr

Parmi les quinze hommes identifiés – arrivés le matin du 2 octobre en jet privé, pour repartir dans la soirée – neuf sont liés à l’armée saoudienne, les services de sécurité ou d’autres branches du gouvernement, selon le New York Times. Certains font même partie de la garde royale.

Selon le Middle East Eye, qui s’est procuré la liste de noms des personnes impliquées, l’un des patronymes les plus révélateurs est celui du médecin légiste Salah al-Tubaigy, connu pour être un pionnier dans les méthodes d’autopsies ambulatoires sur scènes de crime.

Alors qu’il s’employait à découper le corps du journaliste agonisant, al-Tubaigy se serait mis des écouteurs dans les oreilles, en disant: «Quand je fais ce travail, j’écoute de la musique, vous devriez en faire autant».


Lire l’article original, en turc, sur le site de Yeni Safak.

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