«Il n’y aura pas de déportations à Riace»

Publié le 15 octobre 2018
Village à l’abandon repeuplé par les migrants, le bourg calabrais offrait un modèle d’intégration heureuse. Matteo Salvini a décrété sa mort et mis son maire aux arrêts domiciliaires. Mais le ministre d’extrême droite n’offrira pas aux médias internationaux le spectacle qu’ils sont venus chercher: celui des expulsions forcées.


© Google


Riace a vécu un dimanche pluvieux. Peu d’agitation, presque personne dans les rues. «Les photographes qui, depuis ce matin, assiègent le village dans l’espoir d’immortaliser des policiers embarquant des immigrés de force resteront sur leur faim», écrit le site alternatif Comune-info. Et le Huffington Post Italia de citer Daniela Di Capua, directrice du système national de protection pour les demandeurs d’asile et les réfugiés (Sprar): «Il n’y aura aucune déportation à Riace.» Entendez: les transferts annoncés dans des centres d’hébergement ne se feront que sur une base volontaire. Simplement, il n’y aura plus un sou d’aide de l’Etat pour eux qui choisissent de rester dans le village.

Que Matteo Salvini, ministre de l’intérieur, veuille la peau du «modèle de Riace» ne fait aucun doute: il a bel et bien assigné à domicile le maire Domenico Lucano, accusé de favoriser l’immigration clandestine, et tiré la prise financière de son programme d’intégration. Mais, à l’évidence, le ministre d’extrême droite est aussi conscient du dégât d’image que pourraient provoquer des photos d’expulsions forcées, façon évacuation de la jungle de Calais: depuis que le très populaire «Mimmo» Lucano a redonné vie, grâce aux immigrés, à ce village en voie de dépeuplement, Riace est en effet devenu, dans la presse internationale, le symbole d’une intégration heureuse. «Le modèle de Riace, dit le père Alex Zanotelli cité par le Huffpost, démontre que l’on peut revivre en aidant ceux qui arrivent: c’est quelque chose que Salvini ne peut pas tolérer.»

 

Plus de 6000 personnes ont manifesté dans les rues de Riace le 7 octobre dernier. © Ylenia Gostoli / Al Jazeera

Les «déportations» attendues pour cette semaine n’auront donc pas lieu. «Les requérants d’asile et réfugiés sont libres de vivre où ils veulent, précise Daniela Di Capua: ils peuvent louer une maison, ils peuvent travailler.» Pour ceux qui n’y arrivent pas, il y a les centres d’hébergement et les projets d’intégration du Sprar. Seul petit détail contrariant: ceux qui bénéficiaient de cette aide pour vivre à Riace se verront proposer une autre affectation.

Que va-t-il se passer ces prochaines semaines? Au village, raconte le Huffpost, un groupe de réfugiés est allé rendre visite au maire avec ce message: «Nous ne voulons pas quitter Riace, c’est ici qu’est notre nouvelle vie.» Comune-info fait remarquer que, de toutes façons, les subventions étatiques ont cessé d’arriver depuis longtemps. Le site d’activisme citoyen dessine un avenir où les/des immigrés choisiront de rester, sur un modèle autogéré: «Un nouveau projet va démarrer, auquel une large communauté nationale et internationale est déjà prête à répondre». 

Riace deviendra-t-il un «bastion de résistance» à la politique expéditive et xénophobe du nouveau gouvernement italien? C’est ce que souhaite, à l’instar de nombreuses personnalités, l’ancien maire de Naples, Luigi de Magistris. Pour qui l’arrestation du maire de Riace n’a qu’une signification: celle de la victoire de la mafia.


L’article de Comune-info: Perché la storia di Riace non finirà

L’article du Huffington Post Italia: I migranti non se ne vogliono andare da Riace

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