Allô maman bobo…

Les parents d’enfants malades sont parfois mis au pied du mur. (Image d’illustration) – © DR
Mon fils est hospitalisé depuis quelques jours et ça risque de durer. J’aimerais pouvoir me concentrer sur ce qu’il ressent, lui changer les idées comme je le peux, être là avec lui, tout simplement. Il a 8 ans et ne comprend pas pourquoi il doit passer du temps entre ces murs blancs. J’alterne les mots rassurants chuchotés à son oreille avec les courriels professionnels, mon ordinateur portable coincé sur mes genoux. Je multi-tâche comme d’habitude, essaie d’être ici en même temps que là-bas – sauf que plus que jamais, je me sens telle une funambule qui flirte avec le vide.
«…ah, parce que vous travaillez?» demande une blouse blanche qui me surprend à coordonner les ultrasons de mon rejeton avec mes réunions d’évaluation.
Je respire profondément et essaie de passer outre cette grossière conjecture genrée. Et je me renseigne. Comment font les parents des autres petits patients pour concilier engagement humain et obligations professionnelles?
Première constatation: c’est la mère qui passe le plus de temps auprès de son enfant hospitalisé. Serait-ce vraiment possible que les pères se sentent moins concernés par ce rôle de soignant pour l’âme, reflets d’une société qui peine à leur reconnaître un potentiel parental aussi important que celui des mères? Les esprits pragmatiques (et un peu simplistes, soyons clairs) répondront que les femmes suisses étant les championnes du monde du travail à temps partiel, il serait plus aisé, pour elles, de passer du temps avec leur rejeton. Je continue mon investigation.
Deuxième constatation: passée la barre fatidique des trois jours, nombre de mères (encore elles…) se mettent en arrêt maladie. Cet arrêt est bien souvent justifié; la charge psychologique et physique étant telle que beaucoup finissent par craquer. Cela étant, il n’y a pas toujours «maladie», ces mères étant, en fait, des modèles de résilience (elles craqueront plus tard mais ça, c’est une autre histoire). Toujours est-il – les mères n’ont souvent pas d’autre choix que de se déclarer «malade» pour assurer une présence auprès de leur enfant. Leurs employeurs ne leur accordent pas la flexibilité nécessaire pour concilier leurs obligations familiales et professionnelles, ou lesdites mères ne peuvent pas se permettre une baisse de salaire en réduisant leur temps de travail, souffrant déjà de (trop) bas revenus.
Et puis il y a les mères qui perdent – ou n’ont d’autre choix que de quitter – leur travail, la maladie de l’enfant s’installant, s’aggravant. En effet et contrairement aux pays voisins, la Suisse n’accorde pas de congé aux parents dans cette situation, ne les protège pas du spectre du licenciement. Elle n’octroie pas non plus d’allocation mensuelle de soutien. Ici en Suisse, on s’en remet donc totalement à l’ingéniosité du citoyen… ou plutôt, de la citoyenne. Résultat: en cas de maladie d’un enfant, ce sont les femmes qui, bien souvent, doivent combler les trous de notre politique sociale. Les femmes qui mettent entre parenthèses leur vie professionnelle. Les femmes, encore, qui glissent dangereusement sur la pente de la pauvreté. Cette constatation me donne le bourdon puis, très vite, une folle envie de secouer les puces à nos hommes politiques.
J’observe mon fils qui, enfin, a réussi à s’endormir, et me prends à rêver. Je rêve d’une Suisse qui ferait concorder valeurs affichées, cadre légal et pratiques sociétales. Qui ferait inscrire dans la loi un congé digne de ce nom pour les parents qui passent par l’épreuve d’une maladie de leur enfant. Une Suisse qui attendrait des employeurs qu’ils accordent des adaptations contractuelles aux parents lorsque, malheureusement, la maladie dure trop longtemps. Mais surtout, je rêve d’une Suisse qui reconnaîtrait et favoriserait l’engagement de tous – mères et pères, fils et filles – auprès de tout membre de leur famille dans le besoin. Je rêve d’une Suisse qui donnerait à toutes et à tous les moyens de vivre pleinement leur humanité.
«…quels jours devez-vous travailler, et quels jours pas ?» me demande une autre blouse blanche, consciente de la professionnelle qui se cache derrière la maman.
Il y a du progrès – mais le chemin sera long.
Céline Yvon, Genève
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