Quand l’Afrique s’éveillera

Publié le 16 décembre 2022
Au moment où Joe Biden tient son grand sommet africain à Washington, je vous recommande l’un des derniers podcasts du journaliste camerounais Alain Foka. Il y rappelle quelques vérités élémentaires sur l’Afrique, à savoir que, dès qu’il s’agit d’évoquer ce continent, tout est distordu, à commencer par les chiffres et les faits qui paraissent les mieux établis.

Les mappemondes mentent par exemple avec un aplomb que personne ne songe à contester. Ainsi la projection de Mercator habituellement utilisée pour représenter le monde sur la carte tord-elle les surfaces au détriment de ce continent. Sur les cartes, la Russie apparait deux fois plus grande que l’Afrique alors qu’elle est en réalité près de deux fois plus petite. De même, le Groenland semble deux fois plus grand que l’Afrique alors que celle-ci peut la contenir dix fois! De même la France semble aussi grande que le Mali alors qu’elle est deux fois plus petite que lui… 

L’impossibilité de répliquer une sphère sur une surface plane fausse les perceptions. Il existe une projection, dite de Robinson, qui respecte les superficies. Elle a toutefois le défaut de réduire les distances entre continents. Comme par hasard, elle n’est jamais utilisée par les cartographes parce qu’elle écorne le sentiment de supériorité atavique du Nord sur le Sud. Le Nord y apparait moins dominateur et le Sud beaucoup plus présent. La carte est donc un outil politique, un instrument de pouvoir qui sert à rabaisser le continent noir.

Il en va de même pour la démographie, rappelle Foka. Ce continent est présenté comme surpeuplé, en proie à une natalité démentielle. Emmanuel Macron l’a d’ailleurs rappelé lors de sa dernière tournée africaine. Tout cela relève du cliché qui tient les Africains pour des bonobos qui passeraient leur temps à forniquer alors qu’en réalité le continent est sous-peuplé. Exemples: l’Inde, qui n’est que 1.5 fois plus grande que la RDC, compte 1,3 milliard d’habitants alors que la RDC est jugée surpeuplée avec cent millions d’habitants seulement! Idem pour le Cameroun, qui passe pour surpeuplé avec 25 millions d’habitants alors que le Bangladesh totalise 160 millions d’âmes pour un territoire 2,5 fois plus petit. Quant à la France, elle affiche 67 millions d’habitants sur un demi-million de km2 alors que le Mali en compte trois fois moins pour un territoire deux fois plus grand. Le Niger, champion toutes catégories de la natalité, n’atteint que 25 millions d’habitants bien que 3,5 fois plus grand que l’Allemagne qui, elle, totalise trois fois plus d’habitants mais dont personne ne songe à dire qu’elle est surpeuplée.

Ces clichés ont la vie si dure que même les Africains y croient dur comme fer et qu’ils considèrent leur jeunesse et leur vitalité démographique comme des tares plutôt que comme des chances. Quitte à nourrir les hantises des paranoïaques de la surpopulation qui considèrent l’Afrique comme une menace pour la survie de l’espèce humaine et craignent d’être submergés par les Africains.

Il existe pourtant un domaine pour lequel les pays riches ne méprisent pas l’Afrique, celui des ressources naturelles et des terres arables, largement sous-exploitées jusqu’ici. Ce continent recèle un potentiel économique dont on commence seulement à deviner l’ampleur. Le bauxite, l’uranium, le coltan, le cobalt, le diamant, l’or, voire le pétrole et le gaz, sont allègrement pillés, avec, au besoin, l’aide de milices armées par nos soins comme dans l’est du Congo et en Centrafrique. L’agriculture vivrière traditionnelle basée sur le mil y a été massacrée par les importations subventionnées de blé européen et nord-américain. Le cacao et le coton ont vu leurs prix écrasés par le cartel des importateurs qui ont tout fait pour empêcher l’émergence d’industries de transformation locales. 

Américains, Chinois, Russes, Français, tous s’affrontent pour maintenir ou accroître leur emprise sur le continent. Mais il arrivera un temps, forcément, où les Africains voudront rapatrier la valeur ajoutée sur leur continent. Plutôt que de s’y opposer, l’Europe devrait accompagner ce mouvement. A défaut, elle redeviendra sur le plan économique la micro-péninsule qu’elle a toujours été sur le plan géographique. 

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